Par Laurent NAHOUNOU

Il ne se passe plus de jour sans qu’une nouvelle affaire de vente, ou occupation illicite de terres ne vienne troubler le sommeil des propriétaires terriens du village de Modeste, dans la Sous-préfecture et Commune de Grand-Bassam. Vendredi 14 septembre 2018, une cérémonie de libation avortée dans ce village, à quelques encablures du ‘’carrefour Chinois’’ côté ‘’nouvelle autoroute’’ a suscité la colère chez une bonne frange de la jeunesse. Cette situation continue de faire grincer des dents. Accusés d’être à la base d’une occupation illicite de leurs terres, en même temps que Nanan Kanga Assoumou Pierre, Roi du village communal de Moossou, le Colonel de la Marine Kakou Brou dit KB et Mian Augustin, ex-Secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), expliquent l’acquisition de la parcelle litigieuse.

Ils ne décolèrent pas, ces jeunes de Modeste, qui entendent en découdre désormais avec tous occupants illicites de leurs terres. Sur le pied de guerre ce vendredi-là, ils comptaient perturber la cérémonie. Idem pour Joseph Gnohan, président d’un collectif de propriétaires terriens de la zone indiquée. Pour lui, en effet, il n’est pas question que ce site revienne à la Mutuelle estudiantine de développement (MED), une structure créée par des étudiants alors dirigeants et membres de la Fesci. ‘’Nous ne sommes pas d’accord que ce site soit revendiqué par la Fesci, encore moins par le Roi de Moossou qui n’est pas propriétaire des terres de Modeste. C’était plus de 30 hectares que l’emprise de la nouvelle autoroute de Grand-Bassam a réduit à seulement un peu plus de 09 ha. Et nous sommes en train de faire en sorte de les mettre en valeur. Comment des gens peuvent-ils venir, surtout à notre insu, pour y faire de la libation au profit d’individus que nous ne connaissons même pas’’, peste-t-il. Il indique que la zone concernée est la propriété de plusieurs planteurs du village de Modeste, qui n’entendent pas se laisser faire. ‘’Comment quelqu’un qui a été condamné par le Tribunal de Grand-Bassam pour avoir illicitement occupé les terres de notre village peut encore venir faire une libation sur ces terres ? En tout cas, s’ils persistent dans leur voie, ils nous trouveront sur leur chemin’’, prévient-il.

Le Colonel Kakou Brou et Mian Augustin s’expliquent

Les mis en cause réfutent ces allégations. Et expliquent que ce site fait partie intégrante de 101 hectares que le Roi de Moossou a cédés à la Mutuelle estudiantine de développement mise sur pied pour la cause. Selon Mian Augustin, parlant au nom du Colonel Kakou Brou, la zone concernée était presqu’un ‘’no man’s land’’ au moment où ils étaient encore en résidence universitaire, dans la Commune de Port-Bouet. Ayant constaté que ces terres étaient occupées majoritairement par des étrangers, et qu’une anarchie s’était installée dans leur occupation, ils ont décidé d’y mettre de l’ordre, avec l’accord de Nanan Kanga Assoumou, Roi des Abourés Ehê de Moossou qui s’en attribuait la propriété. Pour les encourager, et récompenser pour l’effort fourni, il a signé un protocole d’accord de cession de 101 hectares avec la MED, représenté par son président, KaKou Brou, alors étudiant en DEA de Gestion à la Faculté des Sciences économiques et de gestion à l’Université d’Abidjan, le 15 Mars 2004. Dans l’exposé du préambule de ce protocole d’accord, il est, en effet, écrit : ‘’Sa Majesté Nanan Kanga Assoumou, Roi des Abouré Ehê de Moossou, chef de terres et propriétaire terrien, a cédé des parcelles de terrain de cent un hectares vingt ares et zéro centiares (101 ha 20 a 00 ca) à la Mutuelle Estudiantine de Développement (MED)’’.

101 hectares cédés à la Fesci par le Roi de Moossou

A ses articles 2 à 7, ce protocole indique : ‘’Article deux : La parcelle à céder est un terrain d’une superficie de 101 ha 20 a 00 ca sise route de Grand-Bassam, dans la Commune de Grand-Bassam, Préfecture de Grand-Bassam ; délimité au Sud par l’Océan Atlantique et au Nord par la lagune Ebrié ; Article trois : Ladite parcelle, après morcellement, nous donne neuf cent vingt cinq (925) lots de six cent mètres carrés chacun , soit une superficie totale utile de cinq cent cinquante cinq milles (555 000) mères carrés ; Article quatre : Sa Majesté Nanan Kanga Assoumou a exceptionnellement cédé au prix de mille francs Cfa le mètre carré la superficie utile (1 000 F/m2) ; Article cinq : Le coût total de la superficie utile est de cinq cent cinquante cinq millions de francs Cfa (555 000 000 F Cfa) que la Mutuelle estudiantine de développement s’oblige à régler à sa Majesté Nanan Kanga Assoumou aux conditions et clauses ci-après définies : Toutes les sommes à verser se feront en l’étude de Maître Akatcha contre une quittance. Ces sommes doivent être mises à la disposition de sa Majesté à sa demande sans aucune forme de protocole. Article six : La Mutuelle estudiantine de développement (MED) s’oblige expressément à régler la somme de trois millions de francs Cfa (3 000 000 F Cfa) représentant 5,45 % du montant total de la purge des droits coutumiers à déduire du coût du terrain. Le règlement de cette échéance interviendra au plus tard dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de signature du présent protocole d’accord. Le non respect de ladite obligation entraîne de facto la nullité de l’attestation d’attribution coutumière. Article sept : L’obligation de sa Majesté Nanan Kanga Assoumou consiste essentiellement à valider l’attestation de détention coutumière et à soutenir la MED dans toutes ses démarches administratives. Et à signer toutes les attestations d’attribution des lots issus dudit lotissement’’.

L’Arrêté d’approbation du lotissement du ministre Marcel Amon Tanoh

Aux fins d’en devenir propriétaire légale, après la signature de ce protocole d’accord, la MED introduit une demande d’approbation du plan de lotissement d’une cité, dénommée ‘’cité MED’’ au ministère de la Construction. Le 13 juin 2006, le ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat d’alors, Marcel Amon Tanoh fait suite à la requête. Ainsi, par l’Arrêté n° 003/MCUH/DU/SDAF il indique que : ‘’Article 1 : Le plan de lotissement n0 B-44 du 18 avril 2006 du quartier «cité MED (Mutuelle Estudiantine de Développement)», Commune de Grand-Bassam, est approuvé ; il est déclaré d’utilité publique et vaut alignement. Article 2 : Le plan de lotissement du quartier MED comporte 116 îlots numérotés de 01 à 116. Les îlots suivants sont affectés à des équipements : 07, 21, 23, 24, 34, 43, 46, 56, 59, 67, 81, 85, 98, 112, 114. Tous les autres îlots sont affectés à l’habitat et comprennent 1 365 lots numérotés de 01 à 748 et de 751 à 1 367. Article 3 : Le Directeur de l’Urbanisme, le Directeur du Domaine Urbain, le Directeur de l’Assainissement, le Préfet du département de Grand-Bassam et le Maire de la commune de Grand-Bassam sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’application du présent arrêté qui sera publié et communiqué partout où besoin sera’’. Mais en 2011, le chef du village de Modeste fait une opposition, le site relevant de sa compétence territoriale. Après des démarches fructueuses, la MED se voit satisfaite par un autre arrêté ministériel le 16 juin 2014.

Le ministre Sanogo Mamadou délivre à la MED un Arrêté modificatif du premier

Ainsi, ‘’…Vu l’Arrêté n° 003/MCUH/DU/SDAF du 13 juin 2006 portant approbation du plan de lotissement du quartier «cité MED» Commune de Grand-Bassam ; Vu l’Arrêté n° 030/MCAU/CAB/DGUF/DU du 14 octobre 2011 portant constitution de réserve pour les projets sociaux ; Vu l’Arrêté n° 08-0010/MCUH/DGUF/DU/SDAF du 05 décembre 2008 portant ouverture d’une enquête publique en vue de l’approbation du plan de lotissement modifié du quartier «cité MED» Commune de Grand-Bassam ; Vu l’Arrêt civil contradictoire n° 11 du 11 janvier 2012 portant revendication de propriété et déguerpissement rendu par le Tribunal de Première Instance de Grand-Bassam au profit de la Mutuelle Estudiantine de Développement dite MED ; Vu les attestations de propriété coutumière n° RMO/NKA/AA 2004-22-0301 du 22 mars 2004 et n° RMO/NKA/AKA 2007-29-0102 du 29 janvier 2007 délivrées respectivement sur les parcelles de 101 ha 20 ca 00a et 40 ha par Sa Majesté Kanga Assoumou, Roi des Abourés Ehê de Grand-Bassam ; Vu la lettre n° 48CGB/ST du 29 avril 2008 de Monsieur le Maire de Grand-Bassam demandant la modification de l’Arrêté n° 003/MCUH/DU/SDAF du 13 juin 2006 portant approbation du plan de lotissement du quartier «cité MED» ; Vu le procès verbal de clôture d’enquête de commodo et incommodo et de la réunion de la Commission mixte de lotissement en date du 16 novembre 2009 ; Vu la lettre n° 444CGB/ST du 14 décembre 2009 de Monsieur le Maire de la commune de Grand-Bassam transmettant le procès verbal de la réunion de la Commission mixte au ministère de la Construction de l’Urbanisme et de l’Habitat ; Vu la lettre n° 05172010/MCUH/DGACM/DAD/TZP/LG en date du 05 août 2010 par laquelle la Direction de l’Assainissement et du Drainage émet son avis ; Vu la main levée d’opposition au plan de lotissement du Chef du village de Modeste en date du 28 novembre 2011 ; Vu le plan de la situation ; Vu l’extrait topographique de la parcelle d’une superficie de 40 ha 08 a 98 ca objet de compensation ; Vu le plan de lotissement modifié n° B-44 du 29 mai 2008’’, sur proposition du Directeur de l’Urbanisme, le ministre de la Construction , du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme d’alors, Mamadou Sanogo a arrêté :

Comment la «cité MED» va se construire

’Article 1 : Le plan de lotissement modifié n° B-44 du 29 mai 2008 du quartier «cité MED», Commune de Grand-Bassam, est approuvé. Il est déclaré d’utilité publique et vaut alignement. Article 2 : Le plan de lotissement modifié n° B-44 du 29 mai 2008 du quartier «cité MED» comporte 142 îlots numérotés de 1 à 08, 12, 13, 15, de 18 à 22, de 25 à 28, de 30 à 58, 65, de 67 à 116, de 118 à 124, 126, de 130 à 156 et les îlots 29Bis, 33Bis, 52Bis, 96Bis et 106Bis. Les îlots suivants sont réservés à des équipements et affectés à l’Etat : Ilots n° 07, 21, 34, 43, 46, 56, 67, 81, 85, 98, 112, 114, 118 et 123. Les îlots 133 et 139 sont des réserves pour aménagement privé. Tous les autres îlots sont affectés à l’habitation et comprennent 1235 lots numérotés de 01 à 35, de 38 à 58, de 60 à 85, de 132 à 151, de 170 à 177, de 210 à 215, de 228 à 235, de 246 à 250, de 270 ç 272, de 275 à 314, 316, 318, 320, de 322 à 332, 335, 336, de 340 à 344, de 358 à 395, 397, 399, 401, 403, 406, 408, 410, 412, 414, 416, 418, 420, de 422 à 592, de 594 à 599, de 607 à 625, de 630 à à 655, de 722 à 735, 749, de 751 à 904, de 906 à 1157, de 1173 à 1177, de 1187 à 1197, de 1199 à 1212, de 1222 à 1225, de 1235 à 1370, de 1372 à 1381, de 1395 à 1431, de 1437 à 1440, de 1449 à 1576 et les lots 132Bis, 170Bis, 1372Bis, 905A et 905B. Article 3 : Le Préfet du département de Grand-Bassam, le Maire de la commune de Grand-Bassam, le Directeur de l’Urbanisme, le Directeur de la Topographie et de la Cartographie et le Directeur du Domaine Urbain sont chargés chacun en ce qui le concerne de l’exécution du présent arrêté qui sera publié dans le Journal Officiel de la République de Côte d’Ivoire et communiqué partout où besoin sera’’.

 ‘’La condamnation du Roi de Moossou n’entache en rien notre protocole d’accord, qui n’a jamais été attaqué’’, selon Mian Augustin

Ainsi accepté par les autorités ministérielles et administratives, le lotissement devait commencer quand survint la crise post-électoral, avec son cortège d’exilés au nombre desquels le Colonel Kakou Brou et Mian Augustin. Une fois rentrés au pays, ils reprennent langue avec le Roi de Moossou, qui plaide en faveur d’un recasement d’occupants illégaux qui squattent leur site. C’est donc, conclu-t-il, pour faire droit à la requête de leur contractant qu’ils entendaient faire une cérémonie afin d’expliquer aux occupants du site, vendredi 14 septembre 2018, en présence du Roi de Moossou, les futurs travaux sur le site. Ce dernier, qui y a dépêché des collaborateurs, n’a pu venir à cause d’un changement imprévu de son calendrier du jour. Mais, dit-il, ‘’la cérémonie aura lieu quand le Roi en décidera du jour’’, promet-il. ‘’La loi n’est pas rétroactive’’, explique Mian Augustin pour répondre à leurs détracteurs. Il se dit confiant quant à la réalisation de leur projet de développement. Et explique que la condamnation du Roi de Moossou par le Tribunal de Grand-Bassam pour ‘’faux et usage de faux’’, sur plainte de Nanan Konney Ahoua Simon, chef du village de Modeste qui revendique l’entièreté du patrimoine foncier de son village, ne frappe aucunement les différentes approbations de lotissement obtenues de différents ministres de la Construction. Mais, dit-il, ‘’pour la paix et la cohésion sociale, nous menons des démarches auprès des deux têtes couronnées pour qu’ils sr réconcilient. C’est d’ailleurs leur entente qui arrangera tout le monde’’, souhaite-t-il. N’y a-t-il pas hiatus au niveau de la qualité de propriétaire du site ?

Laurent Nahounou

laurentmadoun@gmail.com