Dans la perspective de la réalisation de la cohésion sociale en Côte d’Ivoire, il n’y a pas d’autre choix que de dialoguer et trouver des domaines de convergence et de consensus, pour avancer en dépit des difficultés que nous rencontrons dans la construction d’une paix structurelle et d’une véritable Nation. Il nous faut nous réconcilier avec les valeurs qui fondent une grande Nation et permettent de mettre en mouvement le progrès dans un pays, dans “l’Union, la Discipline, le Travail” et la fraternité comme l’avaient souhaité les pères fondateurs de de notre jeune État.
Or, il suffit d’un incident ou d’un conflit inter-communautaire comme dans le cas de Béoumi, pour faire apparaitre au grand jour la laideur que notre société sécrète encore au fond de son âme. Celle-ci a été polluée, voire empoisonnée, par certaines idéologies, certains discours politiques, certaines conduites sociales, certaines pratiques gouvernementales et l’expérience d’une mémoire douloureuse. Comme si cela ne suffisait pas, il y a une race d’hyènes et de vautours, qui guette, scrute et attend ce type d’évènements mortifères, pour déverser leur venin sur la place publique. Des gens qui surfent sur ce type d’actualité pour souffler sur les braises et verser de l’huile sur le feu, en vue d’embraser tout le pays. Ce sont des pyromanes et non des politiques. Ce n’est plus un combat politique que l’on mène avec de telles attitudes, mais des actions en vue d’alimenter et d’anticiper une crise, que nous appelons secrètement de tous nos vœux, en participant à la fois, à la dégradation des relations inter-communautaires et à la dissolution de la confiance, pour autant qu’elle ait jamais existé dans notre société.
Le catalogue des reproches réciproques que se vouent l’opposition et le pouvoir ne cesse de s’allonger, la déception au sein des populations est profonde par rapport à leurs attentes, à leur exclusion du partage des fruits de la croissance et par rapport à certaines pratiques de la gouvernance actuelle, notamment du rattrapage ethnique, corolaire de l’ivoirité politique certes, mais inversement proportionnel parce que participant de la même nature ethniciste. Aussi, nous sommes dans une situation symétrique où aucune des parties du jeu politique ne veut pas reconnaître sa responsabilité dans la situation actuelle du pays et estime que c’est aux autres de le faire et de reconsidérer leur position et d’assumer la paternité idéologique de leurs actes. De ce point de vue, nous sommes dans une société totalement bloquée, où la fracture sociale et les antagonismes politiques sont totalement dominants, mais pas nécessairement inconciliable.
Dès lors, la mémoire historique accentue de manière aigue la perception de la menace diffuse que représentent les enjeux de l’élection présidentielle de 2020 sur la paix. Les populations et leurs représentants traditionnels s’inquiètent de cette situation, mais aussi de son évolution, au regard de certaines déviations comportementales et de la tenue de certains propos de la part des acteurs politiques engagés dans cette confrontation démocratique. Cependant, tout le corps social tente de croire en des lendemains meilleurs, de maintenir un dialogue social à tous les niveaux de la société, notamment avec la société politique et les pouvoirs publics, dans le cadre des processus institutionnels de la réconciliation et de la réforme de la Loi électorale et de l’organe chargé d’assurer la bonne tenue des prochaines compétitions démocratiques.
C’est dans ce climat déjà chargé et fragile, que les pyromanes de la République se réveillent et donnent de la voix, pour tenter de faire prospérer leur desseins de chaos et leurs tentatives de soulèvement populaire. Des “analystes et des journalistes” qui ne s’appuient sur aucune enquête de terrain, aucune vérification des faits, avant d’informer et de commenter cette triste actualité. Un média d’État incapable de couvrir l’évènement en toute transparence et objectivité pour faire taire la rumeur. ll faut rappeler dans la configuration actuelle des forces politiques en présence et du contexte historique de la nécessité d’une mutation, qu’il ne s’agit ni de tirer profit des dissonances entre anciens alliés, ainsi que de celles qui apparaissent à l’intérieur de chaque formation politique, ni d’exploiter les conditions matérielles d’un futur “putsch électoral” en 2020, ou de recréer des alliances factices autour d’un rapprochement d’ambitions ou d’une coalition d’intérêts, ni encore de faire le procès de l’histoire par des partisans.
Ces positionnements ne doivent plus intervenir lorsqu’il s’agit de l’intérêt général. A ce stade, il s’agit de jouer un rôle responsable dans la consolidation de la paix et la conservation de certains acquis, soient-ils jugés insuffisants. Le progrès est l’objet le plus fondamental de la politique avec la paix, qui en est la condition. A ce titre la construction de la paix, la préoccupation sécuritaire, le souci de l’ordre public, la nécessité de la cohésion sociale doivent occuper tous les citoyens de la manière la plus responsable qui soit. Les sentinelles de la République et les gardiens du sanctuaire national doivent redoubler de vigilance pour prévenir, éteindre et désamorcer. Aimé Césaire après nous avoir appris “la force des mots” disait que “le racisme, c’est la non-communication, c’est la chosification de l’autre, la substitution à l’autre, de la caricature de l’autre, une caricature à laquelle on donne valeur d’absolu”. Faisons donc attention à nos discours, à nos prétentions monopolistiques, aux catégorisations et aux assignations identitaires, pour ne pas donner une dimension ethnique ou nationale à de simples histoires de taxi, de conflit d’intérêts économiques locaux ou de rixes inter-personnelles. Nous n’avons pas le droit de tout politiser pour régler des comptes par personnes interposées ou par procuration. Pierre Aly SOUMAREY