Ouattara : « On ne peut pas tout obtenir dans ce pays!»

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Les oreilles de « L’Eléphant » sont suffisamment grandes pour capter les sons divergents qu’il y a en ce moment entre les deux champions: L’un de l’exécutif, le chef de l’Etat et l’autre du législatif, saint Soro Guillaume. Entre les deux institutions, la Primature joue un rôle que Soro Guillaume ne supporte plus.

La pomme de discorde? L’application de la loi relative au statut des Députés votée en 2007sous Gbagbo.

Un peu d’histoire…

En 2007, on ne sait pour quelle raison, nuitamment, les députés qui voyaient la liste des nouveaux riches s’allonger chaque jour un peu plus, avaient décidé de penser un peu à eux-mêmes, à leurs conditions de vie et de travail, et à l’après mandat. Ils semblaient supporter difficilement qu’en tant qu’élus de la nation, donc choisis par des milliers voire millions d’Ivoiriens, ils continuent à être «écrasés» par les ministres du gouvernement et de la rue et autres administrateurs qui sont, eux, nommés par un seul individu, le chef de l’Etat.

Ils ont donc voté une loi relative à leur nouveau statut d’honorable. Mais cette initiative n’ira pas bien loin puisqu’à cette époque, régnait aux côtés de Laurent Gbagbo, une certaine Simone Gbagbo, puissante première dame de Côte d’Ivoire, et par ailleurs, elle-même, député d’Abobo.

Durant tout le règne de la refondation, l’Exécutif, appuyé bien sûr on ne sait trop pourquoi par Simone Gbagbo, s’était farouchement opposée à cette loi. Jusqu’à la brutale chute de Gbagbo. Elle n’avait pas de problème d’argent de poche, elle ?

La législature Soro

En 2011, quand après toutes les tractations qui n’ont pas manqué de donner quelques coups durs à la démocratie, Soro Guillaume a été presque nommé à la présidence de l’Assemblée nationale, il a fait une promesse à ses collègues. Pour lui, l’actuelle législature devrait marquer une différence positive avec toutes les autres depuis l’indépendance de notre pays en 1960. Dans son discours d’ouverture de la 1ère session ordinaire de cette institution, le 25 avril 2011 à Yamoussoukro, l’on a pu entendre :

«Mesdames, messieurs les Députés, votre fonction est donc importante et elle est complexe, car vous êtes à la fois des élus locaux en charge de la représentation d’une population et des élus nationaux qui exercent collégialement le pouvoir de voter les Lois… Je tiens cependant à souligner fortement que, dans mon esprit, vous devez être en priorité des hommes de terrain et éviter plus que tout de vous couper de votre base. Je vous le garantis, c’est dans les quartiers les plus défavorisés, dans les communes les plus insalubres, dans les campements les plus éloignés, qu’il vous faut entendre la voix du peuple. Il faut savoir l’écouter patiemment et le comprendre respectueusement. Un bon Député, sachez-le, c’est un Député réélu. Prenons garde d’oublier nos électeurs… Quant à moi, sachez que je mettrai tout en œuvre, pour que vous puissiez disposer de moyens de votre politique. Ainsi, de concert avec le Bureau de l’Assemblée Nationale, je prendrai d’importantes mesures, dans l’optique du renforcement des capacités des Députés. Notre objectif est de vous assurer que vous pourrez disposer effectivement de moyens nécessaires pour exercer votre mandat en toute indépendance : indépendance financière, indépendance matérielle, indépendance politique. (Monsieur le Président, ce sont les députés qui m’ont demandé de dire cela!).»

Au début de cette législature, Soro et ses collègues députés pour qui leur statut avait été clarifié, s’imaginaient donc que notre président dont chacun sait qu’il est un grand «redresseur de torts», allait leur rendre justice en appliquant cette loi votée par leurs prédécesseurs. Mais très rapidement, Soro se rendra compte de ce que malgré les assurances qui lui avaient été données par notre président par le biais du grand frère de Daoukro, l’inusable Henri Konan Bédié, assurances selon lesquelles tous les moyens financiers, matériels et autres pour que le «petit» soit un bon président de Parlement, l’Exécutif était en train de se presser lentement pour appliquer le texte de 2007. Qui en constituait l’obstacle? «L’Eléphant Déchainé» dans sa parution n° 206 du vendredi 22 novembre 2013, comme d’habitude pour des questions d’intérêt national, s’était, invité dans le débat à travers le titre: «Exécutif-Parlement: Les Députés, sans nouvelles de Ouattara. Ils voulaient la tête de Kaba Nialé.» souvenirs…

« Le 14 juillet 2013, en prévision de l’adoption du budget de 2014, des députés, membres de la commission des affaires économiques et financières, ont eu un échange des plus instructifs avec la sous-ministre auprès du Premier ministre, chargée de l’Economie et des finances, Kaba Nialé. A cette dernière, quelques députés de cette commission qui parlaient au nom de tous leurs collègues, ont exprimé leur souhait de voir enfin l’Exécutif tenir compte de leur nouveau statut dans

le prochain budget. C’est que, contrairement aux apparences, les députés ivoiriens, ont un statut qui n’est assis sur aucune base légale clairement définie. (…) « L’Eléphant » qui s’est procuré une copie de ce texte voté nuitamment et à huis clos, est obligé de reconnaître qu’il est particulièrement bien rédigé.»

En effet, deux articles, les 12 et 17, sont particulièrement instructifs:

Article 12 : «Le Député à l’Assemblée Nationale perçoit une indemnité mensuelle dont le montant a pour base de référence, l’ensemble des émoluments soumis à imposition (salaire indiciaire + indemnité de résidence) d’un Magistrat Hors Hiérarchie du Groupe A, échelon unique.»

Article 17: «Il est institué une indemnité mensuelle forfaitaire pour frais de mandat parlementaire au profit du Député siégeant à l’Assemblée Nationale. Cette indemnité n’est pas soumise à imposition.»

Et l’infernal quadrupède de poursuivre: «Si ces textes avaient été appliqués par l’Exécutif du temps du régime de l’intrépide Gbagbo, le député ivoirien percevrait aujourd’hui une indemnité mensuelle globale comprise entre deux et quatre millions de FCFA. Sauf qu’aujourd’hui, à tout casser, il ne perçoit que 1,7 million de FCFA. Une misère devant l’océan des sollicitations dont il est l’objet de la part des populations. C’est dans ce montant qu’il doit puiser pour payer le loyer, sa permanence et payer sa secrétaire, payer son carburant pour ses déplacements à l’intérieur du pays ou à Abidjan, payer ses frais de communication, répondre aux sollicitations diverses de ses électeurs, etc.

Depuis janvier 2012, les députés avaient demandé à l’Exécutif de se pencher sur leur triste sort, mais en vain. Certains avaient même pensé à saisir le conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur cette situation. Mais leur président Soro Guillaume leur a demandé de le laisser négocier avec l’Exécutif afin d’éviter un bras de fer. Depuis, il n’est pas revenu de sa mission…

Aussi, lorsque quelques députés se sont retrouvés devant Kaba Nialé, ils n’ont pas hésité à demander que leur nouveau statut soit appliqué et que les conséquences financières transparaissent dans le prochain budget.

Réaction de la sous-ministre ? «Jamais! » Avant de menacer que l’exécutif n’hésiterait pas, en application de l’article 80 de la Constitution, à adopter le budget par ordonnance s’il venait à l’esprit de ces impertinents députés, l’idée de tenter quelque blocage que ce soit. Il n’en a pas fallu plus pour provoquer la colère des honorables dont certains parmi les plus déterminés ont même menacé de descendre dans les rues pour crier leur misère. Tandis que d’autres réclamaient purement et simplement la tête de Kaba Nialé, déclarée personae-non-grata au parlement. » («L’Eléphant Déchainé», 22/11/13).

La suite, on la connaît. Une rencontre d’échanges entre le PM et le PAN qui n’a point permis de régler la question financière. Cependant il va s’en suivre l’émiettement du portefeuille de la sous ministre chargée de l’Economie et des finances, Kaba Nialé, en y créant un ministère délégué au Budget. Après cela, les choses vont aller comme elles pouvaient, suivant le train-train du quotidien parlementaire et gouvernemental. Du moins jusqu’à ce que, l’Etat, grand dépensier, se rende compte de ce que le budget pour lequel Kaba Nialé était venue s’égosiller devant les députés, ne peut suffire à faire face aux dépenses et autres charges du pays. Y compris les frais de bouche de quelques ministres?

Solution? Notre président et son premier ministre, son compagnon d’émergence, en grands économistes, vont proposer un projet de loi de finances rectificatif portant Budget de l’Etat pour la gestion 2014. A soumettre aux Députés. Encore!

Et si on en profitait ?

Alors qu’en juillet 2013, Kaba Nialé avait menacé que l’Exécutif n’hésiterait pas, en application de l’article 80 de la Constitution, à adopter le budget par ordonnance si les députés voulaient tenter un quelconque blocage, voilà que le mercredi 30 juillet 2014, à la clôture de la première session ordinaire de l’année 2014, le président Soro Guillaume déclare: «Pour vous tenir informés, j’ai été saisi par monsieur le président de la République en vue de la convocation d’une session extraordinaire dont l’ordre du jour portera sur le projet de loi sur l’examen du projet de loi de Finance rectificative du budget pour l’année 2014.»

L’information suscite quelques joies suivies d’applaudissements nourris de la part des Députés. Motif? Ils avaient commencé à rêver de ce que peut-être le Président de la République tiendrait compte de leurs préoccupations latentes dans ce budget additif. Au sujet de leur nouveau statut. Mais ils seront très vite et totalement désillusionnés quand l’ordre du jour détaillé de la session extraordinaire leur sera soumis pour adoption. Point de statut des députés.

« Mais ils se prennent pour qui ces gens de l’exécutif ? » S’est emporté un député après lecture. Et tout de suite les grands mots !

Tout de suite, le poing en l’air, certains vont appeler leurs camarades à boycotter ce nouveau texte et à résister. Mais rapidement, de nombreux rapporteurs issus notamment des rangs du RDR, vont donner l’alerte au château.

Le tête-à-tête salvateur…

Ainsi donc, les bruits en provenance du Parlement selon lesquels les députés étaient très remontés en raison de la négligence qui selon eux « frise le mépris » du pouvoir vis-à-vis de leurs doléances, sont montés au Château et parvenus aux oreilles de Ouattara et Duncan. Le président Soro a même demandé expressément un tête-à-tête direct avec la Primature. Il entendait ainsi faire comprendre clairement au pouvoir Ouattara que ses collègues et lui ne lui feront plus de cadeau. Au cours de cette rencontre, Soro a transmis le message de ses collègues à la Primature. Au titre des indemnités mensuelles, le président de l’Assemblée a demandé un million ; là où Kablan Duncan dit qu’il ne peut aller au-delà de 250 mille francs CFA. Le jour et la nuit.

Pour cette rencontre qui a eu lieu le mardi 19 août 2014, il fallait savoir choisir le lieu et l’heure. L’après midi de ce jour où les députés étaient dans leur palais, par exemple. Histoire de faire voir ensemble les deux personnalités et entretenir un certain optimisme en nos Députés qui continueront de croire que tout va bien.

D’ailleurs, les résultats de cette rencontre ne se sont pas fait attendre. Le vendredi 22 août 2014, soit trois jours plus tard, ils ont adopté en séance plénière, la loi de finance rectificative portant Budget de l’Etat de 2014.

Ils ne contrôlent ni l’exécutif ni leur propre budget

Les députés sont comme pris à leur propre piège. Sur papier, les députés sont censés contrôler l’action du gouvernement. Mais dans les faits, ils ne contrôlent rien du tout. Et comme si cela ne suffisait pas, sur leur propre budget, ils n’ont également aucun contrôle. Tout est géré dans une transparence qui fait presqu’envie. Aucun député ne peut, aujourd’hui, prétendre savoir la réalité de la gestion du budget du parlement.

Les députés savent que les économistes qui nous gouvernent estiment qu’ils peuvent vivre dignement et annuellement tous frais compris, avec 20 milliards. Soro et son Bureau, eux, pensent qu’avec une quarantaine de milliards, ils mouraient moins de faim au parlement. Et c’est cette différence de 20 milliards qu’on refuse de mettre à sa disposition que Soro Guillaume ne supporte plus. Au château, on ne comprend pas très bien l’opacité qui entoure la gestion du budget du parlement et on s’interroge sur les réelles motivations de cette exigence de 20 milliards de plus. Selon les sources de « L’Eléphant », l’affaire, de plus en plus, agace le chef de l’Etat. Il va demander un audit de la gestion du budget du parlement ?

Toujours selon les informations de «L’Eléphant», le chef de l’Etat aurait donné des consignes fermes à son premier ministre afin que tout en privilégiant les discussions avec le Parlement, il passe clairement ce message à Soro Guillaume «(…) Il faut arrêter les demandes exagérées… Tout le monde sait d’où nous venons. Le pays sort de crise. Il faut arrêter les uns et les autres avec ces demandes farfelues. Ça ne peut pas continuer. On ne peut pas tout obtenir dans ce pays…»

Mais rien, pour le moment, n’a filtré de la troisième et dernière rencontre au sommet entre Kablan Duncan et Soro Guillaume sur la façon dont Soro Guillaume a accueilli le message du grand chef. Demander à Soro Guillaume, un homme qui a tout obtenu en utilisant des pétards d’arrêter de réclamer quelques misérables petits milliards de plus, c’est vraiment dur à avaler pour lui…

Mais comme il le dit lui-même, l’heure des revendications avec les armes est révolue…heureusement pour Duncan et son patron ?

THIERRY LEES

Source: L’Eléphant Déchaîné N°282 du mardi 9 au jeudi 11 septembre 2014