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« Les branches d’un arbre ne se brisent jamais dans la main du caméléon », un célèbre refrain de l’artiste béninois Gnonas Pédro. Mais le 14 octobre 2015 à Natitingou,dans le nord-ouest du Benin, l’ancien Chef de l’Etat Mathieu Kérékou dont le totem est le caméléon a livré ses derniers combats de tenir dans ses mains, les branches de son arbre de vie. Il est décédé. Kérékou a, malgré lui, et à cause d’une maladie qui a annihilé ses forces, laissé choir « ses branches politiques et non politiques ».

Sa disparition a suscité une avalanche d’hommages adressés au peuple béninois qui a perdu un valeureux fils d’Afrique. Le mérite pour ce grand homme est d’avoir su « changer ses couleurs » comme le caméléon selon les différents contextes politiques qui se sont présentés devant lui et engager son pays dans la voie de la démocratie.

La volte-face salvatrice
Sentant les frémissements du vent de l’Est qui fera plus tard tomber les murs des partis politiques en Afrique, le dictateur Kérékou anticipa sur les événements. Il fera organiser la conférence nationale. « La décision d’organiser la Conférence nationale a été prise en août/septembre 1989 (avant la chute du mur) et la conférence nationale s’est tenue en février 1990, quatre mois avant le discours de La Baule. Tout, au Bénin, s’est passé sans lien direct avec la chute du mur de Berlin et, surtout, avec le discours de François Mitterrand à La Baule auquel une légende tenace s’attache à associer la démocratisation béninoise », précise Francis Kpatindé, ancien rédacteur à Jeune Afrique.
Au sortir de cette conférence nationale, il a accepté ouvrir son pays au multipartisme, mais perd l’élection présidentielle de 1991. Son rival Nicéphore Soglo est porté au pouvoir dans la fièvre démocratique. Malheureusement, ce dernier se perdra dans les travers de l’exaltation de la démocratie en oubliant les aspirations profondes du peuple béninois.
En bon caméléon, le défunt président qui a fait montre d’un fair-play en reconnaissant sa défaite, chose rare pour un militaire sur le continent africain , va rebondir en revenant à la tête du pays en 1996 et se fera réélire en 2001. En 2006, Mathieu Kérékou s’est retiré de la vie politique sans visée révisionniste de la Constitution pour un troisième mandat.  De loin, le vieux caméléon qui lutte contre une maladie qui le ronge observe sans s’immiscer dans la polémique suscitée par les velléités de tripatouillage de la Constitution de l’actuel président Yayi Boni. « C’est sa double facette qui rend Kérékou un personnage politique fascinant », affirme Alioune Fall, Professeur du droit constitutionnel et des institutions africaines.  « Après avoir mis en place une dictature communiste très dure avec suspension de tous les droits fondamentaux, il reniera la doctrine marxiste-léniniste, allant jusqu’à quasiment demander pardon à son peuple lors de la Conférence nationale. Qui plus est, le dictateur Kérékou s’est signalé à l’attention en revêtant l’habit démocratique comme peut-être jamais aucun chef d’Etat africain n’a su le faire », ajoute-t-il. 

Le passé putschiste et idéologique de Kérékou
Aide de camp du président Hubert Maïga, il se signala avec ses amis officiers par un coup d’Etat en 1972.  Le 26 octobre de cette année, Mathieu Kérékou renverse, suite à un coup d’Etat militaire, « le monstre à trois tête » : le Conseil présidentiel incarné à l’époque par Hubert Maga, Sourou Migan Apithy et Justin Ahomadégbé. Deux ans après, le général putschiste Kérékou imposa la doctrine marxiste-léniniste au Bénin. Et depuis, le pays connut plusieurs changements de nom. De la République de Danhomey, il devint République populaire du Bénin.
Si le coup d’Etat est qualifié de non sanglant, il est à noter que le défunt président sous sa casquette de putschiste a mené une répression sévère contre les opposants de son régime. La prison Ségbala au nord du pays est une preuve de la dictature qui a régné au Bénin sous Kérékou. Le coup d’Etat qu’il a échappé l’a fait plonger dans une paranoïa au point que les opposants ont payé le prix. Beaucoup sont  torturés, emprisonnés. Les intellectuels ne sont pas non plus épargnés et certains ont dû prendre la route de l’exil.
Mais très vite, au fil des événements l’homme est devenu un démocrate convaincu, un chantre de paix et consensus. Au-delà de ces « couleurs sombres » du caméléon Kérékou, le mérite lui revient de léguer un Bénin démocratique et de s’être écarté des Mobutu de RD Congo, Bokassa de la Centrafrique, Gnassingbé Eyadema du Togo et bien d’autres qui se sont enfermés dans un autoritarisme anachronique.
Au Benin, l’ombre de Kérékou règne. Il est vénéré et craint. A Cotonou, il se raconte que dans la crise postélectoral de la présidentielle de 2011 qui a connu la réélection de Boni Yayi, il a su jouer le rôle de pacificateur. Mais le voilà quitter les siens, à 82 ans, à quelques mois seulement de la présidentielle de 2016.
Pierre-Claver KUVO 
Paru dans le Diasporas-News n°68 de Novembre 2015

 

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