Des villageois, à Ouattara : « Libérez notre enfant… Il n’a rien fait ! »

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Des révélations sur l’ex-garde du corps de Simone Gbagbo 

Originaire de Biasso, village situé dans la région de l’Agbnéby-Tiassa, le Commandant Anselme Yapo Séka, plus connu sous le pseudonyme de Séka Séka, a marqué, de par les fonctions qu’il a occupées sous l’ancien régime, cette localité. Le jeudi 06 août 2015, nous y étions pour juger de l’impact de sa condamnation à 20 ans de prison sur sa famille et la population. 

Seka-seka

M. Anselme Yapo Séka

Le jeudi 06 août dernier, il est 10 h 35 lorsque nous arrivons à Adzopé (ville établie à 105 km au nord d’Abidjan), précisément en face du siège local de la Poste de Côte d’Ivoire. En ce lieu, il était convenu de retrouver notre guide. Présent depuis une demie heure, il avait eu le temps d’entreprendre le conducteur d’un taxi-brousse qui devait nous emmener à Biasso. Un quart d’heure plus tard, se pointe notre chauffeur du jour. Civilités et paiement de la course achevés, nous voilà en route pour le village du « redouté et adulé » ancien Garde du corps de Simone Gbagbo. Renseignements recueillis auprès de Paul – c’est le prénom du conducteur – nous apprenons que le village se trouve à neuf (9) Km d’Adzopé, chef-lieu de département, sur une voie faite de deux (2) km de bitume et de sept (7) de latérite. La fine pluie tombée la veille, on le constatera à l’entame de la partie non goudronnée, s’avère une bénédiction pour les usagers. En effet, grâce à elle, la grosse poussière qu’on nous prédisait, avait considérablement baissé. L’occasion d’engager une petite causerie avec Paul. « On a appris qu’au temps de Gbagbo, de grosses voitures circulaient ici ? », questionnons-nous. « C’est possible puisqu’on a un frère qui travaillait avec eux », réplique-t-il, sans plus de détails. Une trentaine de minutes plus tard, nous atteignons Biasso, dernier village attié avant d’atteindre la rivière La Mé. Ici, l’une des choses les plus faciles à faire, c’est retrouver la résidence d’Emmanuel Séka, le géniteur de Séka Séka. C’est donc sans peine que nous débarquons en face de cette demeure au portail en métal et d’un rouge tout aussi métallique. Préalablement attendu, nous sommes accueilli par Fortuné, le neveu du chef de famille, son homme à tout faire, comme on a coutume de le voir dans les cultures de type matriarcal.

Réserve et prudence

Après les salutations, nous traversons, en compagnie de Fortuné, la cour cimentée en direction de la véranda où nous attend Emmanuel Séka. Peau basanée, cheveux et barbe sel-poivre parfaitement tondus, il se lève par courtoisie pour nous saluer et nous installer. A peine assis, le « Vieux », ainsi que l’appellent les siens, reçoit un coup de fil. Après 3 minutes de conversation, il s’adresse à nous. « C’était ma fille Françoise, la grande sœur d’Anselme qui se trouve à Abidjan. Elle vous salue. Elle m’a conseillé de ne pas parler du problème ; elle va s’en charger. Elle m’a demandé de vous remettre ses numéros. Comme cela, vous pourriez vous voir à Abidjan », nous annonce Emmanuel Séka. Nous comprenons sa réserve et ses précautions mais nous tentons une dernière chance. « Nous venons de Soir Info, le journal à qui vous aviez accordé une interview à l’arrestation de votre fils », insistons-nous, en lui présentant le numéro en question. Une fois encore, il nous oppose un refus poli. Dans la cour, les enfants jouent gaiement et dans la cuisine, Maman Séka et d’autres dames s’affairent. Sur leurs visages, se lit une sorte de mélange de mélancolie et d’espoir. Après avoir pris le soin de récupérer les numéros de Séka Françoise (dont nous proposons l’interview dans notre prochaine édition), nous demandons à être conduit chez le chef. Cinq minutes de marche et nous sommes à sa résidence. Fonctionnaire d’État, l’autorité coutumière venait, nous apprend-on, juste d’arriver. Bien qu’en concertation avec ses notables, Nanan Kambo Adopo accepte de nous recevoir. Ici aussi, la raison de notre visite énoncée, notre interlocuteur brandit « le devoir de réserve en pareilles circonstances ». « Il y a encore des larmes ; en plus d’être fils du village, il était un membre actif de notre mutuelle de développement. Je viens d’arriver, on va se concerter et voir ce que faire », expose le chef Adépo. Une circonspection qui contraste avec la volubilité d’une population qui se prête, sans difficulté, à nos questions.

Toujours présent dans le cœur des «Biassolais»

A quelques encablures de la concession du dirigeant traditionnel, se présente la place publique. Ce jeudi 6 août, elle est partiellement animée. Un groupe de jeunes, ayant perçu que nous ne sommes pas du village, ne nous quitte pas des yeux. L’approche se fait par notre guide, en attié, la langue locale. Elle a le mérite de briser la garde de ces jeunes gens dont l’un décide de nous parler. « Connaissez-vous le Cdt Séka et que pensez-vous des 20 ans de prison dont il a écopé ? », introduisons-nous. « Je le connais très bien. Il faut dire que sa condamnation ne me met pas à l’aise ; c’est mon frère qui est arrêté donc je ne suis pas à l’aise. Ce que j’ai sur le cœur ? Je pense que ça n’intéresse personne», relève N. N. Yves, dépité. Le marché que nous atteignons plus tard est quelque peu clairsemé ; les étals sont peu achalandés. La raison, jeudi n’est pas jour de marché. Toutefois, nous accostons Maman Chiaé, vendeuse de légumes. Elle se dit prise de douleur, lorsqu’on évoque l’emprisonnement du Cdt Séka. « Anselme, c’est mon enfant, depuis qu’il est dans ce village, il ne fait rien de mal ; il est gentil avec les gens. Si quelqu’un est malade, il l’aide à se soigner. C’est pourquoi ce qui lui arrive là nous fait très mal, on ne sait comment faire ! », s’exclame-t-elle, avant de dire ce qu’elle espère du gouvernement en faveur de l’ex-garde du corps de Simone Gbagbo. « Quand nous avons appris qu’il est condamné à 20 ans de prison, nous avons pleuré parce que c’est un enfant qui est gentil. Donc le président doit voir pour diminuer cette peine et le libérer. Notre enfant est jeune et il ne doit pas mourir comme ça ! », supplie Maman Chiaé. Pour Achi Émile, qui se présente comme un militant du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), l’affaire « Séka Séka » est politique. « Séka Anselme était ouvert à tout le monde ; c’est lui qui a introduit la culture de l’hévéa à Biasso. Depuis qu’il est emprisonné, les gens ont mal. Cela veut dire que pour nous, il n’a rien fait ; c’est la politique ! Quand on te demande de surveiller quelqu’un, si cette personne est attaquée, est-ce que tu vas la laisser ? C’est son rôle de défendre son patron, c’est son devoir. Nous demandons au président de libérer notre enfant qui n’a rien fait », réclame-t-il. Pour bien d’autres « Biassolais », le Cdt Anselme Séka est la victime et non le bourreau. D’où la douleur qui les étreint. Mais eux qui sont les enfants des « Lapenan », des « Dokossê », des « Somefon », des « Zosso », les familles qui composent le village, ont décidé de la supporter dans la dignité. Lorsque nous quittons la bourgade, il est 18h30. La nuit tombante, Biasso prépare les festivités de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, qui a eu 55 ans, le vendredi 7 août dernier.

Serge YAVO (envoyé spécial)

Source : Soirinfo 6254 du jeudi 13 août 2015