Par Simplice Ongui

Le 7 juin 2025, le Rwanda a annoncé son retrait de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), dénonçant une « instrumentalisation » de cette organisation régionale par la République Démocratique du Congo (RDC), avec la complicité tacite d’autres États membres. Cette décision n’est pas qu’un simple retrait administratif : elle constitue un acte politique fort, symptomatique des tensions géopolitiques croissantes en Afrique centrale, et plus largement du malaise institutionnel des organisations régionales africaines.

Un différend révélateur de luttes d’influence régionales 

Le cœur du différend repose sur la présidence tournante de la CEEAC, que le Rwanda estime lui avoir été injustement refusée lors du 26e sommet à Malabo, en violation de l’article 6 du traité fondateur. Déjà en 2023, Kigali avait protesté contre son exclusion du 22e sommet de Kinshasa. Pour le Rwanda, ces actes traduisent une tentative de marginalisation politique orchestrée par la RDC, dans un contexte de rivalités persistantes entre les deux pays, notamment autour des conflits armés dans l’Est congolais, des accusations d’ingérence, et des questions frontalières non résolues.

Le Rwanda semble donc considérer que la CEEAC a cessé d’être une plateforme équitable d’intégration régionale pour devenir un outil diplomatique au service d’intérêts nationaux adverses.

Une crise de légitimité pour la CEEAC

Le retrait du Rwanda constitue un désaveu grave pour la crédibilité de la CEEAC. Il met en lumière les failles de gouvernance et le manque de mécanismes contraignants pour garantir l’égalité entre les États membres. La dénonciation du « silence et de l’inaction » des instances régionales traduit un constat d’impuissance institutionnelle, voire d’alignement partisan. Cela affaiblit l’idée même d’intégration régionale, pourtant cruciale pour la stabilité et le développement économique du continent.

La CEEAC, déjà fragilisée par des années de faible efficacité, de chevauchement avec d’autres organisations (CEMAC, CIRGL, etc.), et par les crises sécuritaires persistantes, voit son avenir sérieusement compromis si elle ne se réforme pas en profondeur.

Un geste diplomatique aux conséquences incertaines 

Le retrait du Rwanda pourrait avoir plusieurs conséquences stratégiques :

Isolement diplomatique : Le Rwanda prend le risque de s’isoler partiellement de ses voisins d’Afrique centrale, avec lesquels la coopération économique, sécuritaire et diplomatique reste indispensable.

Effet domino ? : Ce retrait pourrait inspirer d’autres États frustrés par le fonctionnement de la CEEAC à remettre en question leur participation, précipitant une désintégration progressive de l’organisation.

Redéploiement géopolitique : Kigali pourrait renforcer ses alliances avec d’autres ensembles régionaux plus fonctionnels, comme la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), ou se tourner davantage vers des partenariats bilatéraux et multilatéraux à l’échelle continentale (UA) ou mondiale (Commonwealth, OIF, Chine, etc.).

Conclusion : rupture ou électrochoc salutaire ? 

Le geste du Rwanda peut être perçu soit comme un acte de rupture irréversible, soit comme un électrochoc nécessaire pour susciter une réforme profonde des pratiques institutionnelles au sein de la CEEAC. Dans un contexte où les États africains sont appelés à renforcer leurs intégrations régionales pour peser dans un monde multipolaire, ce genre de fracture rappelle que l’unité ne peut être bâtie sur des arrangements formels ignorés dans les faits.

Le défi pour les institutions africaines est double : garantir l’équité entre les États membres et faire respecter leurs propres textes fondateurs. Faute de quoi, elles risquent d’être perçues, à l’instar de la CEEAC aujourd’hui, comme des coquilles vides ou des instruments d’hégémonie régionale.

Par Simplice Ongui
Afriqu’Essor Magazine
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