Réponse à un lecteur sur la place des Loges dans la crise congolaise

 

Par Simplice Ongui

Par Simplice Ongui
Directeur de Publication
Afriqu’Essor Magazine
osimgil@yahoo.co.uk

À la suite de notre couverture de la conférence maçonnique tenue le 31 mai 2025 à Paris sur le conflit en RDC, un lecteur a salué l’initiative tout en soulignant une perception très répandue : « Beaucoup pensent que les Loges sont responsables, à travers nos élites, des guerres qui ravagent l’Afrique. » Cette remarque, posée sans animosité, mérite une réponse claire et argumentée. Simplice Ongui, directeur de Afriqu’Essor Magazine, revient ici sur les sources de cette méfiance et sur les raisons d’un engagement maçonnique ouvert pour la paix et la justice.

Distinguer les ombres, raviver les lumières

Je vous remercie, cher lecteur, pour votre commentaire lucide et fraternel. Vous touchez du doigt une réalité trop souvent passée sous silence : la confusion persistante entre certaines pratiques de pouvoir opaques et l’idéal maçonnique véritablement humaniste.

Il est vrai que dans l’imaginaire collectif, notamment en Afrique francophone, la Franc-maçonnerie est parfois perçue comme une force obscure, opérant en coulisses des décisions politiques, voire responsables, de manière occulte, des crises armées. Ce soupçon, hérité de l’histoire coloniale et amplifié par le manque de transparence de certaines élites, ne peut être balayé d’un revers de main.

Mais la conférence publique du 31 mai 2025 à Paris a précisément voulu briser le silence, lever l’ambiguïté et ouvrir le dialogue, en montrant qu’il existe des loges engagées, transparentes, critiques et solidaires des peuples africains, qui refusent l’élitisme secret et prennent clairement position pour la justice.

Des loges pour le peuple, pas contre lui 

Dans un continent encore marqué par les cicatrices de la colonisation, les fractures ethniques instrumentalisées, les dépendances économiques et les conflits prolongés, le soupçon populaire envers toute forme de pouvoir discret ou symbolique est légitime. La Franc-maçonnerie, du fait de son historicité complexe et de son vocabulaire symbolique, est souvent mal comprise, perçue comme une élite étrangère aux souffrances réelles des peuples. Ce malentendu mérite non seulement d’être entendu, mais aussi récusé avec clarté.

La conférence publique du 31 mai 2025, au Grand Orient de France, en s’adressant directement aux citoyens congolais et africains, à la diaspora, à la société civile et aux médias, a voulu briser ce mur de méfiance. Elle a rappelé que la vocation de la Franc-maçonnerie, du moins dans sa tradition libérale, humaniste et progressiste, n’est pas de gouverner dans l’ombre, mais de dialoguer dans la lumière.

Les Loges ne sont pas, ou du moins ne doivent jamais être, des instruments de pouvoir : elles sont des laboratoires de pensée, de remise en question personnelle, de construction lente et rigoureuse de la conscience. À l’opposé du dogmatisme ou de l’ambition politique, l’initiation maçonnique repose sur l’humilité de celui qui doute, qui cherche, qui accepte de se transformer pour mieux agir.

C’est pourquoi il faut dire sans ambiguïté :
Il existe des Loges pour le peuple, et non contre lui.

Des Loges qui refusent d’être des relais d’intérêts, mais se veulent des catalyseurs de lucidité, d’éthique et de mémoire collective. Des Loges qui ne dictent pas une ligne politique, mais rappellent les fondements d’une vie politique digne : vérité, responsabilité, dignité humaine. C’est ce qui fut illustré lors de la conférence du 31 mai, où aucune consigne ne fut imposée, aucun discours n’échappa à la critique, aucun mot n’évita la douleur.

Ce fut un espace d’écoute, mais aussi de parole franche, sans jargon ni hiérarchie de savoirs. Les intervenants — qu’ils soient experts, journalistes, essayistes ou maçons — ont parlé pour éclairer, pas pour séduire. Leur présence n’était pas celle d’une élite fermée, mais celle de citoyens engagés, porteurs d’une conscience éveillée, désireux de voir le continent africain se réapproprier ses blessures comme levier de transformation.

Dans sa forme la plus authentique, la Franc-maçonnerie est un appel à la responsabilité individuelle au sein du collectif, une invitation à ne pas céder à la fatalité des conflits, à ne pas se réfugier dans les explications complotistes, mais à chercher les causes profondes, les structures d’oppression, les logiques de déshumanisation — pour mieux les déconstruire.

Ainsi comprise, la Franc-maçonnerie n’est pas un refuge élitiste, mais un carrefour éthique où se rejoignent spiritualité laïque, humanisme actif et parole solidaire. Elle devient, non une menace pour les peuples, mais un outil que les peuples peuvent s’approprier, un espace qui, lorsqu’il est fidèlement animé, peut porter la voix des sans-voix, dans les marges du pouvoir mais au cœur du sens.

C’est dans cet esprit que nous disons : la Maçonnerie ne doit pas fuir le monde, mais l’éclairer. Non pour dominer, mais pour éveiller. Non pour se distinguer, mais pour relier.

Souhaitez-vous que cette version remplace le chapitre original dans votre article finalisé ? Je peux également vous aider à construire un encadré explicatif « Ce que la Franc-maçonnerie humaniste n’est pas » à destination du grand public. 

Refuser la guerre des Loges, encourager la lumière des consciences

Il serait simpliste – voire dangereux – de réduire les tensions politiques et sociales de l’Afrique à une supposée « guerre des Loges Maçonniques ». Cette expression, bien que séduisante dans sa dramaturgie, masque les vraies dynamiques à l’œuvre : la lutte entre éthique et opportunisme, entre élévation morale et captation de pouvoir, entre lucidité historique et déni volontaire.

Oui, certains acteurs politiques, en Afrique comme ailleurs, se réclament de Loges Maçonniques tout en trahissant leurs principes fondamentaux : la Vérité, la Liberté de Conscience, la Fraternité Humaine. Mais c’est précisément là que la distinction est cruciale : il faut faire la différence entre l’institution maçonnique dans sa vocation philosophique, et les usages dévoyés qu’en font certains individus à des fins de carrière ou d’ascension personnelle.

Accuser « les Loges » dans leur ensemble pour les actions de quelques-uns, c’est commettre une erreur de jugement semblable à celle qui consisterait à condamner toute la médecine à cause de quelques charlatans, ou toute une tradition religieuse à cause d’un fanatique violent. Cela relève d’un réflexe de peur, compréhensible, mais non productif. Ce réflexe empêche la distinction entre les principes et leurs trahisons. Il alimente la confusion, pas la conscience.

En réalité, le véritable affrontement qui traverse nos sociétés africaines n’est pas entre loges ou entre rites, mais entre deux forces bien plus fondamentales :

  1. La conscience contre la corruption
  2. La mémoire contre l’oubli organisé
  3. La vérité contre la manipulation des faits
  4. La solidarité contre le cynisme d’État

Et c’est là que la conférence du samedi 31 mai 2025 a voulu marquer une différence : en sortant de la logique du pouvoir pour entrer dans celle de la parole responsable, elle a refusé la posture de l’autorité pour endosser celle du témoignage éthique. Aucun titre, aucun insigne, aucune hiérarchie n’y a pris le pas sur le courage de nommer, de dénoncer, de relier les douleurs aux responsabilités.

Ce n’était pas une guerre des Loges : c’était un appel à l’intelligence collective, à une conscience partagée, fondée sur des faits, sur l’écoute, et sur le refus de sacrifier l’humanité au profit du silence ou du confort politique.

Il est donc urgent, pour les peuples africains et leurs diasporas, de réorienter leur regard : au lieu de chercher des ennemis abstraits dans des cercles symboliques, il faut interroger les responsabilités concrètes dans les cercles de pouvoir, visibles et invisibles. Il faut oser exiger des élites qu’elles rendent des comptes, qu’elles assument leurs choix, qu’elles se soumettent à l’éthique publique plutôt qu’aux arrangements occultes.

La Franc-maçonnerie, dans sa dimension la plus noble, ne cherche pas à gouverner les peuples, mais à éveiller les consciences, à construire des ponts entre mémoire et avenir, et à rappeler que sans justice, aucune paix n’est possible — ni au Congo, ni ailleurs.

Conclusion : pour un engagement éthique, visible et populaire

Oui, il nous faut des Loges engagées pour un renouveau africain, comme vous le dites si justement. Mais surtout, il nous faut des citoyens éveillés, critiques, et capables de distinguer le silence complice de la parole responsable. La Franc-maçonnerie peut être un levier, à condition de rester au service du peuple, et non de s’en éloigner.

À l’heure où l’Afrique cherche des voies de réparation et de reconstruction, la pluralité des chemins spirituels et éthiques ne doit pas diviser, mais enrichir notre horizon commun. Merci d’avoir ouvert cet espace de dialogue.

Simplice Ongui
Directeur de Publication
Afriqu’Essor Magazine
osimgil@yahoo.co.uk

 

Encadré de déconstruction des idées reçues

 

Ce que la Franc-maçonnerie humaniste n’est pas

Dans le contexte de nombreuses incompréhensions autour de la Franc-maçonnerie, notamment en Afrique, il est essentiel de distinguer les fantasmes des réalités. Voici quelques clarifications utiles à l’attention du grand public :

La Franc-maçonnerie humaniste n’est pas une religion
Elle ne prêche aucun dogme, ne propose aucun culte. Elle respecte toutes les croyances, y compris l’athéisme, et s’appuie sur la liberté de conscience de chacun.

Elle n’est pas un pouvoir caché ou un État parallèle
Contrairement à certaines rumeurs, elle ne détient aucun pouvoir exécutif, ne gère aucun budget public, et ne donne aucune directive politique. Ses membres, comme tout citoyen, sont libres de leurs engagements.

Elle n’est pas un cercle d’enrichissement personnel
L’entrée en franc-maçonnerie n’offre ni poste, ni argent, ni promotion. Elle impose au contraire un travail intérieur, une rigueur éthique et un engagement discret pour le bien commun.

Elle ne dirige pas les crises africaines
Elle ne tire les ficelles des conflits. Certains dirigeants peuvent être maçons, mais cela ne signifie pas que leurs choix engagent les loges. La Franc-maçonnerie n’est pas responsable des dérives de certains de ses membres.

Elle ne rejette pas les spiritualités africaines
Bien au contraire : elle encourage le dialogue des traditions, l’écoute des héritages ancestraux, et le respect des cultures. Elle se veut un espace de convergence, pas de substitution.

La Franc-maçonnerie humaniste, c’est…

  • Une méthode de réflexion libre et critique
  • Un lieu de dialogue et de transmission de valeurs universelles
  • Une école de l’éthique personnelle et collective
  • Une fraternité transnationale engagée pour la dignité humaine
  • Un espace d’écoute, de mémoire et de lucidité

Objectif : éveiller les consciences, pas gouverner les peuples.

Si elle prend la parole sur la paix en RDC, c’est en tant que citoyenne morale et fraternelle, pas en tant que pouvoir parallèle.

S.O