Par Simplice Ongui

Dans un monde en crise, où les repères se brouillent et les institutions peinent à contenir la montée des extrêmes, la tentation du repli identitaire refait surface. Elle s’infiltre souvent par des discours apparemment lucides, se drapant d’un patriotisme confus ou d’un appel à la vigilance. Mais derrière cette façade, ce sont bien souvent des relents xénophobes et ethnicistes qui s’expriment, menaçant la cohésion de nos sociétés.

Récemment, j’ai reçu deux messages d’un ami vivant en Allemagne. Deux textes où, sous couvert d’analyse politique et historique, transparaît une inquiétante vision du monde : l’autre y est suspect, l’étranger perçu comme agent d’un projet de domination, l’identité nationale vue comme un champ clos à préserver contre une contamination extérieure.

Dans le premier message, l’auteur évoque la “pléthore de garde républicaine burkinabé” qui assurerait “la pérennisation du pouvoir mossi” en Côte d’Ivoire. Une accusation grave, à peine voilée, qui transforme une question politique complexe — la gestion de la sécurité présidentielle — en un procès ethnique. En ramenant des institutions étatiques à des logiques de clan ou d’ethnie, ce discours foule aux pieds les principes républicains, sème la suspicion et alimente la haine de l’autre. Une telle lecture, simpliste et toxique, ignore la diversité réelle des peuples, les trajectoires individuelles, et les nuances qui fondent la complexité de toute société moderne.

Le second message, quant à lui, s’enracine dans une réflexion sur l’esclavage et ses conséquences. Il y est affirmé que “l’esclavage a fait de nous les Noirs des sous-hommes” et qu’“un homme sans identité est une proie sans dignité”. Si cette tentative de réveil des consciences peut paraître noble dans son intention, elle sombre néanmoins dans une essentialisation malsaine : l’histoire devient un destin figé, et l’identité une prison. Ce n’est pas l’absence d’identité qui déshumanise, mais l’incapacité à penser l’identité comme un espace ouvert, pluriel, et en constante évolution.

Derrière ces deux textes se dessine une même logique : celle de la peur. Peur de la dilution, peur de l’invasion, peur de la perte. Mais cette peur, si elle est compréhensible dans un contexte de bouleversements sociétaux, ne doit jamais justifier la haine. La Côte d’Ivoire, comme tant d’autres nations africaines, est le fruit d’un tissage complexe d’histoires, de peuples et de destins partagés. La traiter comme un territoire figé, destiné à être gardé “entre soi”, c’est trahir son essence même.

L’identité nationale n’est pas un totem figé ni une généalogie pure. Elle est un projet collectif, inclusif, bâti sur des valeurs partagées et non sur des lignées tribales. Ceux qui défendent leur nation en désignant des ennemis intérieurs, qu’ils soient étrangers, métissés ou simplement différents, ne la protègent pas : ils la défigurent.

Il est temps de tirer la sonnette d’alarme. Les propos xénophobes ne sont jamais anodins. Ils préparent les terreaux des violences futures. Ce que nous devons préserver, ce n’est pas une “pureté” identitaire illusoire, mais une démocratie vivante, fondée sur l’égalité, la justice et la solidarité entre tous ceux qui partagent un destin commun.

L’avenir de notre pays dépend de notre capacité à dépasser les peurs pour construire, ensemble, une société forte de sa diversité, et non affaiblie par ses divisions.

Simplice Ongui
Directeur de Publication
Afriqu’Essor Magazine
osimgil@yahoo.co.uk