
Le cardinal Robert Sarah/ François Bouchon/Figarophoto.com
Par Simplice Ongui
Le poème-manifeste de Pâris Baletula Diambanza, intitulé “Un Pape noir…”, est un véritable coup de poing littéraire. À travers une plume affûtée, insolente parfois, mais toujours lucide, l’auteur entame une réflexion profonde, déroutante et multiforme sur la place des Africains dans les sphères de pouvoir spirituel, symbolique et politique mondial. En prenant pour prétexte la possible élection d’un cardinal africain à la tête de l’Église catholique, Baletula ouvre un chantier d’analyse qui embrasse à la fois l’histoire coloniale, la théologie, la géopolitique contemporaine et la psychologie des masses africaines.
Un point de départ spirituel, un détour politique, une destination identitaire
La question posée en exergue, “Un Pape noir ? Pourquoi pas ? Pourquoi faire ?” définit le cadre du texte : il ne s’agit pas d’une simple revendication symbolique, mais d’une interrogation critique sur le sens et l’utilité d’une telle nomination. L’auteur met en lumière la figure du cardinal Robert Sarah, guinéen conservateur, candidat potentiel au trône de Saint Pierre. Il dénonce les ingérences politiques occidentales, notamment françaises, dans les rouages de la papauté, tout en s’interrogeant sur la capacité d’un Africain à changer réellement les structures profondes d’une institution européo-centrée.
« Je vois le Cardinal Sarah comme un baobab, un homme d’intégrité, un vieux sage africain qui, comme le dit le proverbe, est adossé à une meule de foin : si l’on s’en approche, on en tirera profit ; si l’on s’en éloigne, on en subira le préjudice », Père Valéry Sakougri. (international.la-croix.com)
L’Église catholique face à son propre passé colonial
Dans une veine mémorielle et intime, le poète confronte son propre parcours spirituel à celui de son père, fervent catholique et respectueux des dogmes. Ce dialogue entre générations illustre le conflit permanent entre transmission culturelle coloniale et aspiration à la libération mentale. Baletula aborde avec tendresse et humour le poids du père, le respect filial, tout en revendiquant une liberté de conscience critique, acquise au prix de luttes intimes et intellectuelles.
Une charge contre l’aliénation religieuse et politique
Le texte développe un point de vue décolonial assumé : un Pape noir ne saurait être un gage d’émancipation pour l’Afrique tant que les structures de domination spirituelle et politique perdurent. Il attaque le “messianisme exotique” qui pousse les peuples africains à attendre leur salut de l’extérieur, qu’il s’agisse de Rome, de Paris ou de Washington. Le rôle de Barack Obama dans la déstabilisation de la Libye et du Sahel est sévèrement critiqué, tout comme l’attitude de certains chefs d’État africains toujours en quête de légitimité occidentale.

Basilique Notre-Dame de la paix, Yamoussoukro, Côte d’Ivoire, consacrée par le pape Jean-Paul II en septembre 1990.
Un contre-argument décisif passé sous silence
L’auteur du poème-pamphlet oublie ou ignore certainement un fait symbolique majeur : la présence en Afrique, à Yamoussoukro, capitale politique de la Côte d’Ivoire, de la Basilique Notre-Dame-de-la-Paix, l’une des plus grandes églises catholiques du monde et le deuxième plus haut édifice chrétien de la planète, juste derrière l’Église principale d’Ulm. Ce monument colossal de la foi chrétienne a été consacré par le Pape Jean-Paul II le 10 septembre 1990. Ce simple fait rappelle que l’Afrique, loin d’être en marge, est déjà un pilier majeur du catholicisme mondial. Et donc, avec la présence d’un tel édifice sur son sol, le continent africain mérite pleinement d’enfanter un jour un Pape.
Vers une spiritualité africano-centrée ?
Plus qu’une critique, le poème est une proposition : celle d’une “Église catholique négropharaonique”, réconciliée avec l’âme africaine, débarrassée de la culpabilité coloniale et des scandales de Rome. Il appelle à un christianisme osirien, basé sur des valeurs africaines transfigurées : vérité, justice, solidarité, compassion, combat. En cela, Baletula rejoint la tradition des penseurs afrocentristes qui aspirent à un réveil spirituel ancré dans l’histoire et les croyances autochtones du continent.
Conclusion : une réflexion à trois niveaux
Le poème propose trois niveaux de lecture :
- Du point de vue du catholicisme, l’origine du pape ne devrait avoir aucune importance.
- Du point de vue politique, un pape noir peut être une avancée symbolique, mais n’est pas une panacée.
- Du point de vue identitaire et spirituel, il faut reconsidérer l’ancrage même de notre foi : vers une spiritualité décolonisée.
Pâris Baletula Diambanza, en poète-philosophe, nous invite à penser autrement. “Un Pape noir…” n’est pas seulement un texte sur l’Église, c’est une méditation radicale sur notre place dans le monde, notre foi, nos illusions et nos espérances.
La suite est peut-être entre nos mains…
Simplice Ongui
osimgil@yahoo.co.uk
Encadré
Comprendre la « Spiritualité africano-centrée »
La spiritualité africano-centrée est une approche de la foi qui puise son essence dans les valeurs, traditions, langues, cosmologies et rites ancestraux africains. Elle vise à replacer l’Afrique au centre de sa propre vie spirituelle, en dépassant l’aliénation religieuse héritée de la colonisation.
Ses cinq piliers :
- Fondements culturels :
S’appuie sur les langues, mythologies, philosophies et systèmes de pensée traditionnels africains.
- Rites et symboles endogènes :
Valorise les pratiques spirituelles autochtones (Vodoun, Kongo, Poro, Yoruba, Akan’ Gbotougbê, Ibôh-Nawa, Nzangbéton…) comme voies de sagesse.
- Réinterprétation des religions révélées :
Relecture critique du christianisme ou de l’islam, en phase avec les réalités africaines.
- Recentrage spirituel africain :
Refuse l’ethnocentrisme religieux occidental ; affirme que Dieu parle aussi en lingala, kikongo, bambara, bété…
- Résistance à l’aliénation :
Dénonce les dogmes imposés par la colonisation missionnaire ; appelle à une décolonisation des imaginaires.
S.O