Il faut enquêter de manière rigoureuse sur les avertissements ignorés d’un possible soulèvement et sur les violences sexuelles de septembre 2020 |
KINSHASA, République Démocratique du Congo, 20 septembre 2021/ — L’enquête sur le soulèvement de septembre 2020 à la prison centrale de Kasapa à Lubumbashi, en République démocratique du Congo est visiblement au point mort, a déclaré Human Rights Watch. Pendant trois jours, des prisonniers ont violé à maintes reprises plusieurs dizaines de détenues, dont une adolescente. Les autorités devraient fournir aux survivantes des soins médicaux et un soutien psychologique adéquats. Elles devraient enquêter de manière crédible et impartiale sur ces incidents, y compris sur les responsables qui ont ignoré plusieurs avertissements selon lesquels une émeute se tramait, et poursuivre en justice de manière équitable les auteurs d’abus. « Les autorités congolaises devraient enquêter sérieusement sur ces trois jours de déferlement de violence et de viols généralisés à la prison de Kasapa, et agir afin d’en punir les responsables et d’empêcher de nouvelles défaillances du système carcéral », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Près d’un an plus tard, les victimes de viols attendent toujours de recevoir des soins médicaux et un soutien adéquats, alors qu’elles souffrent de traumatisme et de stigmatisation. » Le soulèvement a commencé le 25 septembre, lorsqu’un groupe de 15 prisonniers considérés dangereux et détenus séparément des autres a maitrisé leur unique gardien et pris d’assaut la prison. Ils ont incité les autres détenus à la violence, incendié plusieurs bâtiments et se sont rapidement emparés de la prison, provoquant la fuite du personnel, des gardiens et des forces de sécurité. Un incendie dans la section des femmes a contraint les détenues à se réfugier dans la cour principale de la prison pendant trois jours, sans protection, sans abri, sans nourriture ni eau et sans accès sécurisé aux toilettes. Des prisonniers ont brulé leurs affaires et ont imposé un climat de terreur. « De peur d’être violées, nous n’allions même pas nous laver », a déclaré une survivante, âgée de 38 ans. Le 28 septembre, un groupe de prisonniers a remis plus de 40 détenus – dont les meneurs présumés des troubles – aux forces de sécurité, qui ont alors repris le contrôle de la prison. Bien que le chef de la police provinciale ait exhorté les autorités à faire évacuer la prison de Kasapa, compte tenu de son « état de délabrement avancé », seuls 200 prisonniers environ, sur un total de quelque 2 000 détenus, ont par la suite été transférés vers d’autres prisons. De décembre 2020 à avril 2021, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 42 personnes, dont 14 femmes ayant survécu à l’émeute, ainsi qu’avec des prisonniers, du personnel médical et des travailleurs humanitaires, des activistes locaux, du personnel pénitentiaire et judiciaire, et du personnel des Nations Unies à Lubumbashi et à Kinshasa, la capitale. Human Rights Watch a effectué des recherches à la prison de Kasapa en mars. Human Rights Watch a consulté un rapport interne de l’ONU selon lequel les forces de sécurité ont abattu au moins 20 détenus, dont au moins 7 qui pourraient avoir été victimes d’exécutions extrajudiciaires lorsqu’ils tentaient de s’évader par un tunnel souterrain. Un agent de l’administration pénitentiaire est également décédé des suites de blessures subies lors du soulèvement. Dans quatre lettres datées d’août 2020, des responsables de la prison avaient averti les autorités provinciales de l’insécurité à l’intérieur de l’établissement, et demandé le transfert d’un groupe de « détenus très dangereux ». Selon les responsables de la prison, ces lettres sont restées sans réponse. Les mises en gardes contre un complot imminent impliquant le même groupe de détenus ont également été ignorées cinq jours avant la mutinerie et, une nouvelle fois, quelques heures avant son déclenchement, ont-ils ajouté. Sur les 56 femmes et filles incarcérées dans cette prison, 37 femmes et une adolescente ont affirmé, dans leurs dépositions devant le procureur de la République de Lubumbashi, que des détenus les avaient violées. Human Rights Watch s’est entretenu avec 13 des détenues qui affirment avoir été agressées sexuellement ou violées. Des membres du personnel pénitentiaire, des responsables onusiens et des défenseurs locaux des droits humains ont affirmé à Human Rights Watch que la majorité des femmes détenues, peut-être même toutes, avaient été violées, mais que certaines d’entre elles ne l’ont pas signalé au procureur, par crainte de la stigmatisation associée aux agressions sexuelles. Des informations crédibles ont également fait état du viol de six hommes et garçons. Certaines survivantes ont affirmé avoir été victimes de viols collectifs ou avoir été violées à plusieurs reprises par différents hommes au cours des trois jours de troubles. Elles ont précisé que les femmes qui résistaient étaient souvent battues ou frappées avec des objets tranchants ou des armes blanches. « Trois jeunes hommes sont venus vers moi avec des machettes et des couteaux… et m’ont emmenée derrière le bloc, menaçant de me couper la tête si je résistais », a déclaré une détenue âgée de 37 ans. « Ils m’ont violée tous les trois et, quand j’ai essayé de résister, l’un d’eux m’a frappée avec sa machette, me blessant l’arcade sourcilière. » Plusieurs sources ont décrit une agression lors de laquelle de nombreux détenus ont violé une femme qui rendait visite à un prisonnier le jour où l’émeute a commencé, et l’ont pénétrée avec des objets tranchants. Les personnes interrogées ont affirmé que deux autres femmes qui étaient en visite et une femme policière avaient également été violées. Lors de l’insurrection, des groupes rivaux de détenus se sont aussi livrés à de violents affrontements pour le contrôle de la prison. Les statistiques médicales compilées après l’émeute, que Human Rights Watch a pu consulter, indiquent qu’au moins sept détenues, dont une adolescente de 16 ans, sont tombées enceintes, très probablement en raison de viols pendant les troubles. Un certain nombre d’entre elles venaient de contracter le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles. Après l’émeute, les autorités ont failli à leur responsabilité de fournir des soins post-viols aux survivantes en temps opportun et de manière adéquate, tels que des soins médicaux pour les blessures physiques, une contraception d’urgence contre la grossesse, une prophylaxie post-exposition au VIH et des médicaments pour prévenir d’autres maladies sexuellement transmissibles, ainsi qu’un soutien psychologique, a déclaré Human Rights Watch. Malgré les alertes d’activistes locaux, les autorités provinciales n’ont pas envoyé d’équipe médicale à la prison de Kasapa pour soigner des survivantes de violences sexuelles avant le 1er décembre, soit deux jours après que Radio France Internationale (RFI) ait évoqué des viols. Une organisation non gouvernementale a fourni des soins post-viol le 30 septembre, soit au-delà du délai requis de 72 heures, et en raison du manque de stocks, la moitié seulement des détenues en ont bénéficié. D’autres n’ont reçu que des antibiotiques. Pendant au moins deux semaines après l’émeute, toutes les détenues ont dormi à ciel ouvert dans l’une des églises de la prison, le toit s’étant effondré durant l’incendie. Du 2 au 16 décembre, l’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF) a installé une clinique temporaire à l’intérieur de la prison pour soigner les victimes de viols. Le gouverneur de la province du Haut-Katanga, Jacques Kyabula, a confirmé dans une lettre à Human Rights Watch qu’une enquête était en cours sur les viols. Mais il n’a pas répondu aux questions sur les alertes ignorées ou sur les facteurs ayant conduit à ce soulèvement de trois jours dans la prison. « L’absence d’enquête sérieuse sur l’émeute de la prison de Kasapa est emblématique du désintérêt de longue date du gouvernement pour les prisons congolaises et les personnes qui y sont incarcérées », a affirmé Thomas Fessy. « Le gouvernement de la RD Congo devrait adopter des mesures visant à préserver la dignité et la sécurité des détenu·e·s et assurer que toutes ces personnes, en particulier les femmes et les filles, soient à l’abri de violences sexuelles. » La prison centrale de Kasapa La prison centrale de Kasapa, construite en 1958, a une capacité d’accueil de 800 détenus. Au moment de la révolte, la population de la prison était de près de 2 000, dont 56 femmes et 53 enfants, selon les responsables de l’établissement. Jusqu’à 81 % de tous les prisonniers étaient encore en détention préventive et, parmi les femmes, seules cinq avaient été condamnées. Contrairement au droit congolais et au droit international des droits humains, la prison de Kasapa compte des détenus de juridictions tant civiles que militaires et les détenus en attente de procès sont incarcérés avec les condamnés. Les mauvaises conditions hygiéniques et sanitaires, l’insuffisance des approvisionnements en nourriture et des soins médicaux, le surpeuplement, le manque de sécurité et la violence, ainsi que le manque de services de réadaptation sensibles au genre, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive pour les femmes, reflètent les conditions carcérales dans tout le pays. En vertu du droit international, il incombe aux autorités gouvernementales de s’occuper des personnes incarcérées ; elles ont notamment l’obligation de protéger leurs droits à la vie, à la santé et à la sécurité. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, dans sa Résolution sur les prisons en Afrique de 1995, appelle les pays africains à se conformer aux « normes et standards internationaux pour la protection des droits de l’Homme des prisonniers ». Les Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (« Règles Mandela »), stipulent que les prisonniers doivent être traités avec dignité et avoir un accès rapide aux soins médicaux, et que les femmes soient détenues dans des locaux entièrement séparés. Aux termes des Règles de Bangkok de l’ONU pour le traitement des femmes en prison, les gouvernements ont également l’obligation d’assurer des services qui répondent aux besoins particuliers des femmes et des enfants, notamment des services de santé sexospécifiques au moins équivalents à ceux disponibles dans leur communauté. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques obligent les gouvernements à enquêter et à punir de manière appropriée les individus responsables d’abus contre des personnes détenues, notamment de violences sexuelles et basées sur le genre, et à accorder des réparations aux victimes. Avertissements ignorés Human Rights Watch a constaté que les autorités provinciales militaires et civiles avaient été averties à plusieurs reprises de l’insécurité et de la menace posée par certains détenus à la prison centrale de Kasapa. Des sources à l’intérieur et à l’extérieur de la prison ont affirmé que des tensions couvaient depuis des mois alors que des bandes rivales de prisonniers étaient engagées dans une lutte de pouvoir. L’ordre et la sécurité dans la prison dépendent d’un système de « kapita », selon lequel les autorités de la prison cèdent de manière informelle certains pouvoirs administratifs et disciplinaires à certains détenus. Le kapita est généralement appuyé par deux adjoints. Les rivalités pour ce type de contrôle se sont intensifiées tout au long de l’année 2020. Dans des lettres datées du 4, du 19 et du 25 août, l’inspecteur pénitentiaire commandant la section militaire de Kasapa a alerté les hauts-magistrats militaires et les responsables pénitentiaires de Lubumbashi et de Kinshasa au sujet de l’« instabilité de la sécurité » persistante au sein de la prison. Il a demandé le transfert de « 11 détenus très dangereux » dans un centre de détention de haute sécurité pour régler le problème. Ces prisonniers, qui avaient été condamnés pour association de malfaiteurs, possession illégale d’armes de guerre et insurrection, « tent[aient] à tout prix de s’évader », peut-on lire dans la lettre du 25 août. Le 29 août, le directeur de la prison, Pelar Ilunga, a écrit au ministre provincial de l’Intérieur, au gouverneur et aux autorités militaires et judiciaires, insistant sur la nécessité de transférer les détenus dangereux pour des raisons de sécurité. Ces quatre lettres sont restées sans réponse. Les responsables de la prison de Kasapa ne sont pas habilités à initier eux-mêmes le transfert de prisonniers. Ilunga a confirmé que le 21 septembre, d’autres détenus l’avaient informé qu’un groupe de prisonniers condamnés préparaient une évasion. Il a déclaré avoir alerté le ministre provincial de l’Intérieur par SMS. Le 25 septembre, le même groupe de détenus a été surpris en train de préparer une évasion qui prévoyait de mettre le feu à des matelas et de s’emparer des armes des gardiens, selon un greffier de la prison. Ilunga a alors placé les 15 prisonniers dans une cellule d’isolement séparée et, a-t-il dit, il en a informé les autorités provinciales. Ce groupe comprenait les 11 détenus mentionnés dans la lettre du 25 août, selon l’inspecteur commandant la section militaire de Kasapa. L’émeute Le 25 septembre vers 16h00, les 15 détenus qui avaient été placés en cellule disciplinaire quelques heures plus tôt ont maîtrisé leur unique gardien et se sont évadés. Alors qu’ils prenaient d’assaut la prison, d’autres détenus se sont joints à eux, s’emparant dans un local de rangement d’outils de travail comme des machettes, des pelles et des houes, pour s’en servir comme armes. Les émeutiers ont ensuite mis le feu au bâtiment administratif, pillé la clinique et un dépôt de nourriture, avant de les incendier également. Dans le chaos, les gardiens, qui ne sont pas armés, se sont enfuis tandis que certains membres du personnel pénitentiaire se trouvaient pris au piège dans leurs bureaux. Le commandant de la section militaire est entré dans la prison vers 17h00, accompagné de policiers en armes. Ils ont délivré les personnels enfermés dans leurs bureaux, notamment l’adjoint du commandant qui avait été sévèrement battu et est décédé plus tard des suites de ses blessures, et des gardiennes cachées dans le quartier des femmes. Des prisonniers ont confirmé que les forces de sécurité avaient utilisé du gaz lacrymogène pour les forcer à réintégrer leurs pavillons mais qu’elles ont été incapables de les y maintenir. Les détenus ont riposté, incendiant d’autres sections de la prison. Ilunga est arrivé sur place vers 18h00, peu après les renforts policiers et militaires. Le kapita et ses adjoints ont été mis en sûreté en dehors de la prison et, étant eux-mêmes des prisonniers, ont été placés dans une cellule du parquet de Lubumbashi jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli dans la prison. Au moins deux détenues ont affirmé à Human Rights Watch qu’elles avaient supplié le directeur de la prison de les mettre en sécurité hors de la prison, mais qu’il avait refusé, de même que le personnel des forces de sécurité. « Nous pleurions mais [le directeur de la prison] a affirmé qu’il ne pouvait pas nous faire sortir de la prison parce que certaines d’entre nous avaient été condamnées pour meurtre », a déclaré l’une d’elles. Ilunga a déclaré à Human Rights Watch qu’il n’avait pas les moyens logistiques pour évacuer la section des femmes. Alors que la révolte gagnait en intensité, les forces de sécurité et les responsables de la prison ont coupé l’électricité et fermé les portes de la prison derrière eux, laissant la prison aux mains des détenus. Trois jours plus tard, le 28 septembre, un groupe de prisonniers a pu mettre fin aux troubles et a pris le contrôle de la prison. Ils ont maîtrisé au moins 40 détenus, dont ceux qui auraient mené le soulèvement, les ont ligotés et remis aux forces de sécurité. Le 7 octobre, le commissaire provincial de la police du Haut-Katanga, le général Louis Segond Karawa, a estimé que la prison de Kasapa devrait être entièrement vidée car elle ne répondait à aucune norme de sécurité après ces violents événements. Karawa a déclaré : Nous avons à peu près 60 femmes détenues [à Kasapa], ce sont des vulnérables avec des mineurs ; laisser ces gens au milieu de ces criminels et de tous ces hommes-là, vous voyez ce que cela peut donner. Je demande à ce qu’on transfère tout le monde [vers d’autres maisons carcérales] pendant qu’on voit comment on peut reconstruire cette prison, parce qu’en l’état actuel, on ne peut même pas la réfectionner. Au cours des deux semaines qui ont suivi le soulèvement, environ 200 détenus ont été transférés à la prison de Buluo à Likasi. Le 15 octobre, cinq femmes condamnées ont été transférées à la prison de Boma, également à Likasi. Cinquante militaires ont depuis été chargés de sécuriser le périmètre extérieur de la prison de Kasapa. Violences sexuelles Pendant trois jours, les détenues ont été violées à maintes reprises, parfois par plusieurs prisonniers à tour de rôle, et au moins une femme a été pénétrée avec des objets. Une fois la section des femmes incendiée, les détenues ont appelé au secours pour échapper au feu. Les viols ont commencé peu après et se sont poursuivis pendant que les femmes détenues dormaient dans la cour de la prison. Ruth, 28 ans, qui, comme toutes les autres survivantes citées, est identifiée par un pseudonyme afin de protéger sa sécurité, a affirmé que plusieurs hommes l’avaient violée les première et deuxième nuit du soulèvement : « C’était vers 23h00 les deux fois. Ils étaient si nombreux que je ne peux pas vous dire combien exactement. Ils se pressaient pour venir sur moi, chacun voulait prendre son tour. » Des détenus armés de bâtons et de couteaux choisissaient des prisonnières dans la cour et les violaient, soit sur place, soit dans un lieu plus isolé. Amina, 38 ans, a déclaré : « Je suis allée uriner dans un caniveau et des hommes sont venus et m’ont saisie de force. Ils étaient nombreux, armés de machettes, de barres de fer et de couteaux …. Ils m’ont emmenée dans le jardin derrière le bâtiment et m’ont violée. » Francine, 34 ans, portait son nouveau-né dans son dos et s’occupait de sa fille de 3 ans lorsque des prisonniers l’ont agressée, ainsi que deux autres femmes. « C’était pendant la première nuit ; trois hommes sont venus prendre ma fille mais je l’ai protégée », a-t-elle dit. « Ils m’ont prise à sa place, avec deux autres femmes ; mon bébé est tombé de mon dos et ils nous ont violées toutes les trois. Ils nous ordonnaient de ne pas les regarder, sinon ils nous frapperaient. » Certaines femmes ont affirmé avoir été violées par plus de dix détenus lors de la première nuit. Trente survivantes ont déclaré à MSF qu’elles avaient été violées par cinq, dix, voire une vingtaine de détenus. Si une femme résistait, les hommes en appelaient d’autres à venir la violer pour la punir, selon un rapport de l’ONU. Parfois, les détenus ont forcé les femmes à se à se dénuder et à manifester devant les grilles de la prison pour exiger la libération des prisonniers. Human Rights Watch a reçu des informations crédibles, concernant jusqu’à six incidents, selon lesquelles des détenus auraient violé d’autres prisonniers de sexe masculin, mais n’a pas pu s’entretenir directement avec les hommes survivants. Au moins six adolescents, âgés de 14 à 17 ans, pourraient également avoir été violés par des détenus, selon l’ONU, mais Human Rights Watch n’a pas été en mesure de corroborer ces allégations. Traumatismes physiques et psychologiques Les détenues ont déclaré qu’être maintenues dans l’enceinte de la prison où elles ont subi des violences sexuelles les obligeait à revivre constamment leur horrible épreuve. Plusieurs survivantes ont fait état de symptômes correspondant à un stress post-traumatique, notamment des cauchemars, de l’insomnie et un sentiment persistant de peur. Ruth a ainsi décrit ses symptômes : J’ai des cauchemars ici et je peux à peine dormir. J’ai de l’insomnie et j’ai constamment mal au ventre. Il faut que nous sortions d’ici, comment peuvent-ils nous maintenir ici après tout ce qu’il s’est passé ? J’étais en bonne santé quand je suis arrivée à la prison. Qui va prendre la responsabilité de ce qui m’est arrivé ? Nous n’avons pas été bien soignées et nous ne recevons même plus de médicaments. Nous avons besoin de voir des médecins et d’être bien soignées. Bibiche, 43 ans, dont le mari est également détenu à la prison de Kasapa, a déclaré que des détenus l’avaient molestée à plusieurs reprises et lui avaient donné des coups de poing dans le ventre. Lorsque Human Rights Watch l’a interrogée en mars 2021, elle a précisé qu’elle souffrait encore de douleurs abdominales. Dans sa lettre du 23 juin à Human Rights Watch, Kyabula, le gouverneur de la province, a affirmé que le gouvernement provincial « répond[ait] régulièrement et promptement aux états de besoins provenant de son directeur [de la prison de Kasapa] et du médecin chef du centre médical ». Cependant, les survivantes de viols n’ont pas reçu de soins médicaux adéquats ni en temps opportun. Une organisation non gouvernementale congolaise a fourni des soins d’urgence à certaines des détenues le 30 septembre 2020, soit cinq jours après les premiers viols, rendant les traitements post-viols inefficaces pour prévenir l’infection par le virus VIH ou les grossesses non désirées. En outre, seulement la moitié des femmes ont bénéficié de ces soins, à cause de l’insuffisance des stocks ; d’autres n’ont reçu que des antibiotiques. Les autorités provinciales n’ont pas fourni à la prison de trousses de premiers secours et de médicaments avant fin octobre, selon plusieurs sources. Les survivantes de violences sexuelles n’ont reçu aucun soin pendant deux mois, avant qu’une équipe médicale ne soit enfin déployée le 1er décembre. Le lendemain, MSF a installé une tente médicale dans l’enceinte de la prison et y a soigné toutes les femmes jusqu’au 16 décembre. Les autorités n’ont fourni aucun suivi médical ou psychosocial aux survivantes de viol depuis cette date. Human Rights Watch n’a pas eu connaissance d’une quelconque assistance médicale prodiguée aux hommes survivants de violences sexuelles. Bernadette, 30 ans, a affirmé avoir été violée deux fois durant le soulèvement. Elle a eu une grossesse non planifiée, mais a fait une fausse couche. Elle est sortie de prison fin février 2021 et a ainsi décrit ses douleurs physiques persistantes : « Quand je me lave, je ressens des picotements sur le corps et j’ai le vertige. J’ai contracté des maladies et des infections à cause des viols et des conditions de vie à la prison. J’ai encore des douleurs au ventre depuis ma libération mais je n’ai pas les moyens de me payer une échographie. » Stigmatisation et rejet Le sentiment de honte et le rejet constituent d’importants obstacles pour les femmes et les adolescentes de la prison centrale de Kasapa quand il s’agit de révéler qu’elles ont été violées ou de solliciter de l’aide. Certaines survivantes ont indiqué qu’elles craignaient que leur mari ou leur compagnon les abandonne si elles révélaient avoir été violées. D’autres ont affirmé craindre que les membres de leur famille ne les blâment ou que les membres de leur communauté se moquent d’elles en public. Micheline a affirmé avoir menti à son mari : Un groupe de quatre garçons sont venus vers moi, ils m’ont emmenée derrière les dépôts de vivres. Je pleurais, je les suppliais de me laisser tranquille. Je leur ai dit qu’ils pourraient être mes enfants, [trois d’entre eux] ont alors cessé mais le quatrième m’a quand même violée. Quand mon mari m’a demandé ce qu’ils m’avaient fait, j’ai menti et j’ai dit qu’ils m’avaient battue. Je ne peux pas lui dire que j’ai été violée, car mon mariage serait terminé. Henriette, 47 ans, a affirmé que son mari avait cessé de lui rendre visite après avoir appris qu’elle avait été violée. Elle a précisé que l’église que fréquente son mari l’avait ensuite convaincu de reprendre ses visites, mais il l’a avertie qu’en vertu de ses coutumes, elle devrait payer une « amende » pour pouvoir retourner dans leur foyer après sa libération. L’une des détenues remises en liberté ces derniers mois, Joséphine, 54 ans, a déclaré qu’elle n’avait pas pu dire à son mari qu’elle avait été violée et avait contracté le VIH : Si je dis à mon mari que j’ai été violée et que j’ai le VIH, il me chassera et où pourrai-je aller ? Je serai à la rue. Je ne peux même pas le dire à mes enfants.… Maintenant ma vie est gâchée, mon mariage et l’avenir de mes enfants aussi. Absence de justice Le 29 septembre 2020, le procureur de la République de Lubumbashi a ouvert une enquête sur les viols. Trente-sept femmes détenues et une adolescente de 17 ans qui ont témoigné lors de cette enquête ont affirmé avoir été violées. Dans une lettre datée du 5 octobre que Human Rights Watch a pu consulter, le procureur a demandé que des examens médicaux soient effectués sur les survivantes de violences sexuelles par l’un des principaux hôpitaux de Lubumbashi. Cependant, malgré cette requête et une seconde demande présentée fin novembre, les autorités de l’hôpital n’ont pas obtempéré. Human Rights Watch a contacté le directeur de l’hôpital par téléphone en avril, mais il n’a pas souhaité accorder un entretien. Entre octobre et décembre, les enquêteurs ont interrogé 38 femmes détenues à la prison de Kasapa. En janvier 2021, ils se sont rendus à Likasi et ont interrogé trois femmes condamnées qui avaient été transférées à la prison de Boma. Ils ont également interrogé quatre des meneurs présumés du soulèvement qui avaient été transférés à la prison de Buluo. Le 23 juin, les enquêteurs sont retournés à la prison de Buluo pour interroger dix prisonniers soupçonnés d’avoir commis des viols et les ont confrontés avec trois survivantes. Les enquêteurs estiment qu’ils ne disposent pas des moyens logistiques nécessaires pour prévoir une nouvelle série d’entretiens. Le procureur militaire a interrogé tous les responsables de la prison, selon le commandant de la section militaire de Kasapa. Cependant, Human Rights Watch n’a pu recueillir de preuve montrant qu’une enquête était en cours sur les lacunes en matière de sécurité qui ont rendu possible l’émeute de septembre. SOURCE |
République Démocratique du Congo : Nouvelles révélations sur des viols généralisés à la prison de Kasapa
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