« L’arbre ne se moque jamais de ses racines. » – Proverbe africain

Par Simplice Ongui

À l’heure où l’africanité se réinvente aux quatre coins du monde, la tentation est grande, dans la diaspora, de revendiquer la tradition sans en respecter les fondements. Or, toute invocation de la tradition africaine implique une responsabilité : celle de consulter les aînés et les gardiens de la mémoire restés sur le continent, et de suivre leur interprétation. Dans cet essai, Simplice Onguí plaide pour un dialogue structuré et permanent entre diaspora et continent, afin de préserver l’authenticité de l’identité africaine, tout en l’ouvrant à la pluralité de ses expressions. Une réflexion essentielle pour une renaissance partagée.

Introduction : La tradition en partage, l’identité en devenir

Qu’est-ce qu’être Africain lorsqu’on est né ou qu’on vit loin du continent ? Que signifie « respecter la tradition » lorsqu’on évolue en terre étrangère, entre héritage et adaptation ? À l’ère des recompositions culturelles mondialisées, la question de l’identité traditionnelle africaine se pose avec acuité pour la diaspora, tout autant que pour ceux qui vivent sur le continent. Une chose est certaine : l’identité ne peut se transmettre ni se préserver sans dialogue actif, réciprocité et respect mutuel.

Ce dialogue est d’autant plus crucial que, pour toute situation impliquant l’invocation ou l’application – même partielle – de la tradition africaine dans la diaspora (naissance, mariage, deuil, nomination, adoption symbolique, rites familiaux…), il est impératif de consulter les parents, les anciens ou les dépositaires de la tradition restés au pays. Et cela selon leur propre interprétation, car la tradition ne se décrète pas depuis l’exil, elle s’honore dans la relation vivante avec sa source.

I. L’identité africaine traditionnelle : entre transmission vivante et recomposition

L’identité traditionnelle africaine ne se limite pas à des rites ou à des habits colorés exhibés lors de cérémonies. Elle est une matrice profonde, fondée sur des valeurs collectives : le respect des anciens, le rôle des lignages, les alliances symboliques, les langues vernaculaires, la parole donnée, la mémoire des ancêtres. Elle se transmet par la voix des aînés, les proverbes, les gestes symboliques, et surtout par l’expérience collective du quotidien villageois ou urbain.

Sur le continent, cette transmission est encore vivante, bien qu’elle soit fragilisée par l’individualisme croissant, l’exode rural et l’occidentalisation. Dans la diaspora, elle est souvent fragmentaire, réinterprétée ou ritualisée hors contexte. D’où l’importance de reconnecter le fil, sans mépris ni idéalisation.

II. La diaspora : entre mémoire vive et reconstitution symbolique

La diaspora africaine – qu’elle soit héritière de la traite transatlantique ou constituée de migrants postcoloniaux – porte en elle une mémoire blessée mais tenace, une envie de retour (symbolique ou réel), et une fierté d’origine souvent redoublée face aux discriminations. Dans les diasporas, on recrée des cercles communautaires, on transmet des prénoms africains, on célèbre des mariages traditionnels, on pratique des libations ou des veillées coutumières.

Mais cette reconstitution est parfois maladroite, influencée par les impératifs de l’intégration ou du folklore. La tradition devient, à certains égards, une identité bricolée, où les gestes sont reproduits sans en saisir l’âme. Or, nul ne peut revendiquer la tradition africaine sans consulter ceux qui la vivent encore dans sa profondeur : les aînés, les chefs de famille, les notables restés sur le continent.

III. Le devoir de consulter les porteurs vivants de la tradition

Lorsqu’un membre de la diaspora souhaite célébrer une union « selon la tradition », donner un prénom coutumier, enterrer un parent « comme au pays », ou même initier un rite de pardon ou de bénédiction, il n’a ni la légitimité ni l’autorité de le faire seul. C’est une question de respect, de cohérence, mais aussi d’intégrité culturelle. La tradition africaine est structurée, hiérarchisée, encadrée. Elle repose sur la parole des anciens, l’accord des familles, et le principe fondamental de la consultation collective.

Ainsi, toute invocation de la tradition par la diaspora nécessite, par principe, un retour symbolique vers la source : le village, la famille élargie, la lignée, les gardiens de la mémoire. Ne pas le faire, c’est trahir l’esprit même de ce qu’on prétend honorer. Ce n’est pas une simple formalité : c’est une exigence éthique et identitaire.

IV. Vers un dialogue structurel entre diaspora et continent

Pour que cette dynamique ne soit pas ponctuelle mais pérenne, il est nécessaire d’instituer des espaces de dialogue et de réciprocité structurée. Cela suppose :

  • La création de conseils coutumiers consultatifs transnationaux ;
  • L’invitation régulière de chefs traditionnels à des événements diasporiques significatifs ;
  • La mise en réseau de sociologues, historiens, linguistes, prêtres traditionnels et leaders communautaires des deux côtés ;
  • L’enseignement dans les écoles de la diaspora de l’histoire des peuples africains par leurs propres récits, non par les manuels coloniaux.

Ce dialogue permettra de corriger les erreurs d’interprétation, de préserver l’authenticité sans l’enfermer, et d’offrir à la jeunesse afro-descendante une africanité enracinée mais ouverte.

Conclusion : L’identité n’est pas un décor, c’est une fidélité vivante

Le combat pour la dignité africaine passe par la fidélité à soi-même, une fidélité active, critique, respectueuse et généreuse. Il ne s’agit pas de retourner à un passé idéalisé, mais de tisser un présent conscient, fait d’échanges, de reconnaissance mutuelle et de responsabilités partagées.

Oui, la diaspora a le droit de vivre la tradition. Mais elle a surtout le devoir de la vivre avec ceux qui l’incarnent encore dans sa vérité vivante.

Simplice Ongui
Directeur de Publication
Afriqu’Essor Magazine