Par Charles Toali, Analyste politique / Analyste des discours et des nouvelles logiques de communication

D’abord, je me passe de toute introduction pour ne pas revenir sur les critiques qui ont jailli sur la scène politique ivoirienne à l’annonce de cette rencontre. Ensuite, j’évite une introduction pour ne pas perdre mon analyse dans les querelles de basse cour concernant la vraie identité de celles et ceux qui ont fait honneur au Président Gbagbo de donner encore dans la profondeur de sa pensée politique. Enfin, j’occulte une introduction pour ne pas avoir à situer le contexte historique qui a mobilisé tous ces Ivoiriens à cette réunion publique du samedi 28 août 2021 à Mama, village natal du président Laurent Gbagbo, situé dans le département de Gagnoa.

Le discours du président Laurent Gbagbo n’est pas non plus descendu dans cette basse cour. Il a bien voulu orienté ses visiteurs du jour dans quatre directions qui définissent, par ailleurs son identité politique et discursive. Il a inscrit son discours dans des références historiques, par un témoignage et terminé par un espoir, l’espoir des retrouvailles encore plus chaleureuses.

1. Quitter les sentiers du coûte que coûte

Le locuteur a rappelé que les morts, et les tueries ne sont que la conséquence d’une propension politique au principe du “coûte que coûte”. Ce concept lui permet de situer les fondamentaux de la démocratie à travers l’esprit de fair-play, la transparence dans l’action publique, et le respect de la vie humaine et des institutions. Il dit que les tueries, les morts ne sont que la conséquence d’une volonté certaine à s’accaparer le pouvoir politique “coûte que coûte”.

2. Références historiques et traces politiques du locuteur

Laurent Gbagbo a subrepticement indiqué que les critiques portées contre lui ne sont pas fondées car déjà en 2006, la nomination des préfets militaires était une réponse politique de l’État de Côte-d’Ivoire au martyr qu’avait souffert ce peuple, déjà à cette période. Ce bout du discours indique dans un premier temps que la souffrance de ce peuple ne peut être réduite aux malheureux événements de Mahebly, petit Duékoué, etc.

Dans une deuxième lecture, le locuteur veut témoigner de l’intérêt qu’il a toujours porté à la dignité humaine dans son combat pour la démocratie. C’est pourquoi, il a pris le soin de rappeler d’autres crises historiques, celle du sanwi, du Guébié, mais aussi en citant des cas spécifiques. Pour y arriver, il a recouru à ses ouvrages écrits du temps de sa clandestinité politique et à se pencher sur une question existentielle : l’obligation pour l’humanité de se doter des moyens afin d’expliciter la mort d’un être humain quelle soit la vie que ce dernier aurait vécue.

À un troisième niveau de lecture, le locuteur à voulu jouer dans le culturel et la carte de la prudence de la procédure de l’action sociale. Dans le paragraphe précédant, j’ai pris le soin de relever, comme le Président, l’action gouvernementale face aux tueries de 2006 dans cette cette région. Le mentionnant, le locuteur voulait dire ce qu’il a fait quand il dirigeait encore la Côte-d’Ivoire. Cependant, les tueries de 2012 dans la même contrée ont été perpétrées quand, lui, Laurent Gbagbo était en prison. Il n’était plus Président. Il était en détention. Conséquence de la même crise qui avait provoqué les morts de 2006. En conséquence, entre victimes, une telle rencontre devrait se faire dans un espace qui soit loin de tensions politiques eu égard au fait qu’il est acquitté alors que la cause des Wê est encore pendante ou est en passe de l’être devant les juridictions internationales.

3. Les peuples Ivoiriens sont des frères

Laurent Gbagbo a rappelé la fraternité et l’entente qui ont toujours existé entre les peuples Ivoiriens. Et surtout cette propension spontanée à se soutenir mutuellement aussi bien dans la douleur que dans les moments de joie et d’allégresse. Il témoigne de ces interactions entre les peuples par les remerciements qu’il addresse aux villages mitoyens à Mama pour leur présence et le soutien que ces derniers lui apportent dans la réception de ses “étrangers”. Il a aussi fait mention des interprétations maladroites qui ont lieu quand il s’agit de parler de la Côte-d’Ivoire, les étiquettes de partis et groupements politiques qui cataloguent les citoyens.

4. “J’irai vers le peuple Wê” : l’espoir d’une rencontre

Nul n’ignore la situation politique ivoirienne en général et le contexte sociopolitique dans lequel évolue l’ex-Président de la République de Côte-d’Ivoire. Pour qui sait réellement observer la scène politique ivoirienne et ses personnels politiques, l’évidence de la situation sensible dans laquelle l’homme essaie d’opérer devrait sauter aux yeux. Neanmoins, connaissant le courage politique du locuteur, il fait la promesse de se rendre sur le lieu où les crimes contre ce peuple se sont perpétrés. Cela sonne comme une ouverture aux porteurs des critiques contre la présente réunion en adressant un message fort à celles et ceux, qui pour une raison ou une autre, n’ont pu faire le déplacement de Mama. Il a dit qu’il irait vers le peuple Wê le moment venu.

Conclusion

Les quatre directions de la lecture intellectuelle que je viens de faire nous amènent à deux points majeurs dans notre conclusion : le contexte politique sensible dans lequel le Président doit inscrire ses actions publiques d’autant plus que le régime en place n’est pas constitué de ses amis et la question toute aussi sensible de ce que certains personnes ont qualifié de “génocide Wê”. C’est pour dire que l’avant, la réunion publique et l’après cette réunion furent des moments politiques de grande classe dans lesquels les identités politiques et discursive de l’homme politique Gbagbo se sont encore révélées constantes.

Charles Toali
Analyste politique
Analyste des discours et des nouvelles logiques de communication