Les électeurs désertent les bureaux de vote, la confiance envers nos hommes et femmes politiques dégringole et des discours pessimistes tels que « voter, ça ne sert à rien » deviennent récurrents. Voici la liste non exhaustive des symptômes de la crise politique que nous traversons. Le diagnostic est clair : l’écart entre les citoyens et le monde politique se creuse. Aujourd’hui, la démocratie représentative semble avoir atteint ses limites. Se rendre aux urnes une fois tous les cinq ans ne semble plus suffire. Un peu partout en Afrique des alternatives voient le jour. Parmi celles-ci, la démocratie délibérative est souvent présentée comme le remède du XXIème siècle. Son objectif ? Le bien-fondé de la démocratie est ici basé sur un échange, un débat préalable à toutes décisions politiques. Il s’agit de construire des politiques, créer des lois entre citoyens qui échangent afin de trouver la meilleure solution pour une guérison totale.
La Côte d’ivoire s’est fait sentir dans une cajolerie malgré cela elle a reçu une blessure au cœur par la faute des tyrans et dictateurs ivoirien (ne)s eux-mêmes. Si nous voulons guérir ses blessures ivoiriennes, je me propose de penser la question des ivoiriens à l’aide de l’éthique Lévinassienne. Aujourd’hui, notre beau pays n’a plus besoins des tyrans mais des grands penseurs c’est-à-dire des philosophes et non des politiques. Car la philosophie, c’est une manière d’appréhender la vie, la politique, la culture, de penser la santé, l’éducation. C’est une manière aussi de voir sa propre position dans le monde. Beaucoup de jeunes pensent que la philosophie, c’est le rêve ou ce qui est confiné dans de vieux livres auxquels ils ne comprennent rien. Il faut les détromper et leur dire que la philosophie, c’est maintenant que ça se passe !
En effet, cette manière de penser ou d’appréhender la vie etc., nous pousse à non-violence, car, je considère l’autre comme mon semblable, mon prochain. Comme, je le signifie dans mon livre qui s’intitule « l’homme, sa relation avec son prochain : vers un amour véritable et sincère avec Lévinas »[1], où, j’invite tous les ivoiriens à faire preuve de prochainneité, c’est avec l’autre qu’on découvre l’humanité toute entière. C’est là que l’ivoirien se découvre lui-même. La crise ivoirienne, qui ne se réduit pas à une dégradation de l’environnement ou à une raréfaction des ressources remettant en cause nos styles de vie et de penser, mais interroge aussi notre rapport à nous-mêmes, est un des problèmes majeurs. Nous habitons la Terre en nous comportant comme des prédateurs et en oubliant que nous la partageons avec les autres espèces. Pensez aux souffrances inouïes que l’on fait endurer quotidiennement à des familles pour pouvoir acheter leur pain. L’ivoirien a tendance à considérer que ses projets et ses possessions constituent le sens de sa vie et que la seule limite à sa liberté est l’autre homme actuel.
Or, si nous prenons au sérieux la matérialité de notre existence et notre corporéité, nous voyons que notre vie est intimement mêlée à celle des autres êtres, passés, présents et futurs, humains et non‐humains. Bien plus, la crise ivoirienne devrait nous amener à prendre conscience et penser comme des philosophes c’est-à-dire comme des sages. L’ivoirien est coupé de son frère à cause de la politique, une politique qui garantie la liberté des uns et autres. Cette manière de concevoir la politique ou de la rationnalisée dans laquelle notre manière de concevoir notre existence devrait permettre à chaque ivoirien (ne) de moderniser le patrimoine culturel, y compris le message religieux.
La génération civique de la fin de siècle allie la subjectivité au besoin d’action collective. Elle ne disparait pas derrière le « nous » anonyme, caractéristique de ces temps, déjà lointains, où les camps étaient bien identifiés, où aucun intellectuel puisse constituer un des principes organisateurs de la pensée. Elle revendique le droit de parler à la personne tout en ne sombrant pas dans le culte de la personnalité de ses ainés. Pour Alain Touraine, « seule la personne individuelle peut fédérer ce qui a été dissocié, dans et par la vie personnelle (…) il faut nous éloigner de l’universalisme abstrait qui nous soumet tous à la normalisation pour nous permettre, comme l’on déjà voulu le mouvement ouvrier, les mouvements de libération nationale »[2]. L’histoire de l’humanité est celle d’une longue désaliénation, contre la religion, contre le pouvoir, aujourd’hui contre la technique. La maitrise de son corps, de son identité, de son destin a été une longue quête de l’homme à la recherche de ce qui constitue l’individualité. Dans cette marche, il s’est trouvé confronté à la société, à ses contraintes et à ses normes. La société de consommation des « trente glorieuses » était plus « libre » que la société du moyen Age, dominée par l’autorité de l’Eglise. Elle n’en était pas moins aliénante pour l’individu, sommé de se plier aux convenances qui lui donnaient obligation de devenir un individu moyen, en capacité d’acheter une voiture, une télévision, un réfrigérateur. Les peurs de l’an deux mille laissent isoler l’individu, confronté aux risques des déchets doxiques, aux destructions écologiques, au bioterrorisme ou aux armes.
L’individu se débat, encore et toujours, pour essayer de se f rayer un chemin au travers d’une histoire qui n’a peut-être plus de « sens » mais qui n’a toujours pas de fin. Les écologistes ont souvent été accusés de ne pas mettre l’homme au centre de leur projet. L’écologie que je défends place l’homme au centre de son projet, l’homme considère en tant qu’individu citoyen. Je suis pour une écologie de l’individu parce que je suis un intégriste de la liberté. L’écologie est rébellion de l’esprit critique contre toute forme de pouvoir abusif. L’extension de la liberté est toujours le produit d’une lutte collective des individus pour accroitre leur espace autonomie. Se réunir, s’exprimer, s’associer, se syndiquer, voter ne sont pas des libertés formelles mais essentielles.
Chaque homme, chaque femme doit pouvoir se réaliser à travers son accomplissement individuel. Or, dans une société où le poids des contraintes subies est chaque jour plus fort, où la lutte contre la dépossession est quotidienne, l’homme, s’il veut être libre, doit continuer à s’émanciper de ses contraintes tout en étant solidaire des autres. Cette confiance en la volonté et en l’unicité de l’individu de distingue des autres partis politiques. En ce sens, Pierre Joseph Proudhon le disait que : « il asservit l’individu, pour rendre la masse libre. C’est de la tyrannie et non de l’association »[3]. L’organisation des sociétés modernes a coupé l’homme de son temps, de son espace, des autres hommes, de lui-même. L’individu aujourd’hui passe son temps à gagner du temps : temps de travail, temps de loisir, temps de repos, temps pour vivre. L’homme moderne perd son temps à essayer de le gagner. La société moderne a coupé l’individu de ses racines en l’arrachant à son espace naturel.
Car, l’écologie de l’individu n’est pas incompatible avec son engagement dans la cité. Au contraire, plus individu se sent épanoui, libre de son action et de la parole, plus il revendique son statut de citoyen. Mais la politique n’est pas tout. Elle n’occupe pas toute la vie de l’individu. Celui-ci revendique son droit au bonheur et à son épanouissement en dehors de la politique. La politique doit savoir respecter et protéger cet espace privé. Elle doit respecter les individus à la libre disposition de leur vie, de leur corps, de leur pensée et de leurs actes, si ces derniers respectent la liberté des autres. L’individualisme n’est pas l’écologie de l’individu. Celle-ci est au contraire une éthique de responsabilité, l’individuelle autant que collective, dont la finalité est de replacer l’individu au cœur de la république. Là où est l’individu-citoyen, là est la république.
Pour conclure, le changement que je désire apporter à ma république n’est pas mono-culturel. Il est le produit, jamais achevé, d’une communauté de citoyens qui trace son sillon par-delà des différences sociales, ethniques, culturelles. Le changement est solidaire, parce qu’il donne les moyens d’assurer d’égalité réelle des chances pour tous, notamment pour ceux et celles qui se sentent délaissés, abandonnés, relégués par un Etat toujours plus éloigné des réalités. Pour que personne ne reste sur le bord du chemin, la république solidaire dispose de deux outils : la préférence citoyenne et discrimination positive. Il ne tient qu’à elle de les utiliser pour redonner confiance et espoir.
Dans une démocratie, il ne s’agit pas d’imposer le végétarisme à tout le monde, même si, personnellement, je rêve d’une telle société où il n’y aurait plus de mise à mort provoquée d’un animal. Le défi est de penser comment les intérêts des animaux peuvent entrer dans la définition du bien commun et comment faire de la question animale l’une des finalités du politique, alors que les animaux ne votent pas et que le pluralisme politique implique de trouver des accords sur fond de désaccord. Comment concilier le respect de la souveraineté du sujet, son droit à choisir son style de vie, tout en améliorant de manière substantielle la condition animale ? C’est ma question.
[1] C’est le titre de mon ouvrage où l’homme ne peut s’appréhender en dehors de l’autre si bien que l’épanouissement du Moi ne peut se réaliser au détriment de toute altérité. L’idéologie Lévinas puise son essence dans l’héritage chrétien dans sa conception de l’Homme vis-à-vis de son semblable. A ce titre, toute personne que je peux rencontrer sur ma route au-delà de son appartenance culturelle, idéologique ou politique argumente-il est ma sœur, mon frère car il y a possibilité de parler de la fraternité universelle. La pensée métaphysique et la pensée divine s’accordent à faire comprendre la dimension universelle de la dignité humaine dans laquelle la forme inédite du lien social transcende toute subjectivité. En réalité, l’auteur s’inscrit dans une vision profonde et universelle de l’Amour car pour lui l’acte de l’Amour est irréalisable dans le Moi mais dans les sphères affectives comme lien social. C’est donc une approche qui appelle à effacer du Moi sa subjectivité et surtout sa conception individualiste de l’existence humaine. Le Moi, est une prison, une cage, une tombe qui étouffe l’Amour et qui met en péril l’essence même de la vie.
[2] Alain Touraine, Lettre à Lionel, Michel, Jacques, Martine…, et vous Fayard, 1995, p. 67.
[3] Pierre Joseph Proudhon, De la justice dans la révolution et l’Eglise, 1858, cité in Alexandre Skirda, Autonomie individuelle et force collective, Ed, A. S., 1987, p. 17.