À la lumière des évolutions de l’actualité politique de ces dernières semaines en Côte d’Ivoire, force est de constater que les Institutions suivantes de la République (si c’en est une !) n’ont pas été à la hauteur de leurs rôles respectifs. Il s’agit de la Police Nationale, de l’Armée (militaires et Gendarmes), de la Justice, et des Médias d’État (Radio, Télévision, Presse écrite…).

Sans risque de se tromper, tout observateur averti de la scène politique ivoirienne de ces cinquante dernières années peut affirmer que ces quatre Institutions ont toutes failli dans leur mission qui est d’être au service du peuple, et seulement du peuple. Sous le règne de tous les présidents qui se sont succédés les uns après les autres depuis Houphouët-Boigny jusqu’à l’actuel chef de l’État, ces quatre institutions ont toujours exécuté sans discernement les ordres du président en place, même lorsque la légalité de ces ordres était plus que douteuse. Un policier ou un militaire devrait pouvoir refuser d’exécuter un ordre de sa hiérarchie s’il juge que cet ordre est contraire à la loi. Encore faut-il que ce policier ou ce soldat connaisse la loi ! Mais ce n’est pas le débat. La constitution devrait pouvoir protéger en toute circonstance tout agent de l’État qui ferait preuve d’une telle bravoure.

Les pères fondateurs des États-Unis d’Amérique ont prévu dans la Constitution américaine des garde-fous qui permettent de prévenir l’abus de pouvoir et la tentation du pouvoir absolu.

Même si de telles précautions existent dans nos Constitutions africaines, il y a très peu de chance qu’elles puissent être actionnées un jour pour la simple et bonne raison que la totalité des responsables de ces institutions qui pourraient faire contrepoids, « check and balance » comme disent les Américains, est à la solde du Président en place. Ces Institutions sont caporalisées et utilisées à souhait pour servir les seuls intérêts des régnants du moment.

Le pouvoir doit revenir au peuple souverain et la désignation des responsables de ces Institutions ne doit pas échoir au seul Président de la République.

De façon générale, et près de soixante années après les indépendances, les modes de gouvernement qui ont été adoptés par nombre de pays africains ont été des échecs sur le plan institutionnel. Ils n’ont pas permis l’émergence de véritables États démocratiques respectueux des libertés individuelles. Les Présidents qui se sont succédés sous ces régimes de gouvernement se sont plutôt révélés être de piteux autocrates concentrant tous les pouvoirs y compris celui de vie ou de mort sur n’importe quel autre citoyen qui oserait émettre une opinion différente. Malheur donc à celui qui ne vouerait pas un culte à ce « dieu tout-puissant » sur terre !

Les nouvelles générations qui ont eu la chance de sortir, de voyager à travers le monde et qui ont pu voir d’autres modèles ne peuvent pas se résoudre à cette fatalité et tout naturellement vont de plus en plus aspirer à un changement profond de cet état des choses. Et ce mouvement de remise en cause de l’ancien ordre est amplifié de nos jours par l’existence des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger, Telegram, etc. La mobilisation des masses grâce à ces nouveaux médias de communication a permis d’enregistrer des changements notables sur le continent africain tels que, le « printemps arabe » entre 2010 et 2012 dans certains pays d’Afrique du Nord, ou encore les récents changements qui ont été opérés sur le Franc CFA version Afrique de l’Ouest, etc. Beaucoup d’autres changements peuvent être opérés grâce aux médias sociaux qui sont devenus la bête noire de tous les despotes surtout africains, certains n’hésitant pas à couper Internet pour empêcher l’utilisation de ces médias par les masses.

L’origine de ces incongruités africaines remonte à très loin. La Côte d’Ivoire à l’instar de nombreux pays africains a hérité de frontières artificielles datant de l’époque coloniale. Les populations, parfois aux traditions et modes de vie très différents, qui se sont retrouvés de fait dans ce nouvel espace géographique, sont donc amenés à cohabiter après le départ du colonisateur. C’est un fait de l’histoire, un héritage avec lequel il faut composer pour les siècles à venir et au-delà. Cependant, les règles de cette « cohabitation » n’ont jamais été établies en tenant compte des spécificités de ces peuples. Bien au contraire, la règle était « l’effacement » des cultures et de l’identité de ces populations pour les remplacer par celles du colonisateur. Car, il faut le savoir, avant l’arrivée du colonisateur il y avait des organisations en place qui régissaient la vie dans la cité. L’on peut citer les grands empires qui ont régné en Afrique de l’Ouest entre le IIIème et XVème siècles, notamment l’Empire du Ghana, l’Empire Sosso, l’Empire du Mali, et l’Empire Songhaï pour ne citer que ceux-là. L’on pourrait même remonter plus loin, jusqu’à l’Egypte du temps des Pharaons.

Tous ces empires étaient de véritables États avec à leurs têtes des chefs, et tout le corpus de l’organisation de la vie dans la cité. L’organisation de ces empires n’était peut-être pas parfaite, mais elle avait le mérite d’exister contrairement à ce qu’avançaient les courants philosophiques européens d’entre les XVIème et XIXème siècles qui niaient toute humanité aux africains.

C’est ainsi, qu’avec l’arrivée du colonisateur, ces organisations et modes de gestion de la vie dans cité ont été reléguées au second plan, voire détruites, de telle sorte qu’aujourd’hui le sous-préfet d’une localité par exemple, a autorité sur le chef dont le canton fait partie de la circonscription du sous-préfet.

En sommes, les constitutions de ces États africains postcoloniaux ne sont qu’une pâle copie de celle des ex-puissances tutélaires. Elles ont été écrites à la hâte lors de la proclamation des indépendances et ont certes été modifiées ou même révisées depuis lors, mais fondamentalement elles restent d’inspiration jacobine pour les territoires qui étaient sous domination française, et anglaise, portugaise, etc. pour les autres territoires qui ont été respectivement conquis par L’Angleterre, ou le Portugal.

La Côte d’Ivoire, riche d’une soixantaine de langues aurait dû opter par exemple pour un système fédéral dans lequel chaque région ou Etat aurait une pleine autonomie dans la gestion des affaires de la région ou de l’État, à l’exception des affaires étrangères, et de l’armée.

Dans ce système, chaque région ou État aura des élus et des représentants à l’assemblée fédérale, comme le modèle Suisse, des Etats-Unis, ou même du Nigeria.

Avec un tel système les candidats aux postes de responsabilité des institutions fédérales sont systématiquement auditionnés par les assemblées fédérales qui s’assurent non seulement des compétences des potentiels candidats, mais et surtout de leur intégrité, et de leur probité. À la fin de tout ce processus, les candidats qui auront réussi leurs « oraux » devront prêter serment avant leur prise de fonction. Aussi simple qu’un recrutement classique dans une entreprise privée, à l’exception près de la prestation de serment.

D’aucuns objecteront que ce système ne fonctionnera pas sous les tropiques africaines, au regard de la polarisation de la vie politique américaine entre les Démocrates d’un côté et les Républicains de l’autre pour ce qui du modèle américain. Ce qui est vrai, il faut le reconnaître, et cela bloque assez souvent le fonctionnement de l’administration fédérale. Soit ! Mais ces mêmes critiques oublient de dire que dans les pays africains, où des modes de gouvernement qui sont appliqués depuis plus d’un demi-siècle, non seulement ne fonctionnent pas, mais ils sont source de corruption, de népotisme, de clientélisme, d’appauvrissement et d’instabilité qui le plus souvent se soldent par des guerres fratricides. Par conséquent, pour répondre à ces critiques l’on pourrait se demander qu’est-ce qu’il y a de pire qu’une guerre civile dans la vie d’une Nation ? On ne prendrait donc pas de risque en optant pour un mode de gouvernement autre que ce qui nous a apporté des guerres. Et le système fédéral ne peut pas être pire que ce qui a été expérimenté jusqu’à maintenant.

J’invite donc tous les Africains épris de démocratie et soucieux de l’avenir du continent à sérieusement réfléchir à ces alternatives pour l’avènement de vraies démocraties en Afrique. Sinon les Présidents se succéderont mais la souffrance du pauvre peuple n’en sera pas pour autant atténuée.

Par Armada Les Ouates