Au nom de ses pairs, l’Évêque d’Odienné a publié, le 6 juillet 2018, un communiqué dans lequel la hiérarchie catholique en Côte d’Ivoire se prononce sur le projet de loi du gouvernement sur l’avortement. Dans ce communiqué, l’épiscopat ivoirien commence par condamner “les tentatives de donateurs puissants et fortunés d’obliger les pays en développement à accepter des pratiques sécularisées en matière de sexualité humaine, de vie, de famille et même d’anthropologie fondamentale, comme condition de la réception de l’aide au développement”.
Quelques lignes plus loin, il s’oppose clairement à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) considérée par lui comme “un homicide volontaire, un meurtre délibéré et direct d’un être humain dans la phase initiale de son existence”.
Les raisons qui poussent les prélats ivoiriens à déconseiller l’avortement se trouvent dans l’extrait suivant: “Dès le moment de sa conception, la vie de tout être humain doit être absolument respectée, car l’homme est sur terre l’unique créature que Dieu a « voulue pour lui-même » et l’âme spirituelle de tout homme est « immédiatement créée » par Dieu”. Ils poursuivent: “La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte « l’action créatrice de Dieu » et demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Personne, en aucune circonstance, ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent.”
Ce communiqué soulève bien des questions parmi lesquelles celles-ci: Les évêques, qui appartiennent au sacerdoce universel (1 Pierre 2, 5) en même temps que les laïcs, peuvent-ils présenter leur parole comme celle de toute l’Église quand on sait que l’Église ne se limite pas aux clercs, que les laïcs sont “coresponsables de la mission et de l’agir de cette Église” (Benoît XVI, basilique Saint Jean de Latran, le 26 mai 2009)? S’il est vrai que, “pour pratiquer la vertu, il faut un minimum de confort” (Thomas d’Aquin) et s’il est conseillé de considérer les circonstances de temps et de lieu avant de juger un acte, peut-on condamner tout avortement? Avant de produire ce communiqué, Antoine Koné et ses confrères ont-ils consulté les laïcs qui, j’en suis certain, n’ont pas forcément la même opinion sur la question? Au nom de l’humilité enseignée et pratiquée par Christ, n’aurait-il pas été plus approprié et plus évangélique d’employer, non pas le mot “guides”, mais celui de “frères” comme le fait l’apôtre Paul lorsqu’il s’adresse à ses “frères” d’Éphèse, de Corinthe ou de Thessalonique? Seul le Christ est appelé “chef et guide” (Hébreux 12, 2) parce que lui seul est saint. En outre, au “guide” est souvent associée l’image d’une personne ayant la science infuse et ayant une conduite irréprochable. Or, affirme le pape François, “personne parmi nous ne doit se sentir ‘‘supérieur’’ à quelqu’un. Personne parmi nous ne doit regarder les autres de haut. Nous pouvons regarder ainsi une personne uniquement quand nous l’aidons à se relever” (Discours aux 14 nouveaux cardinaux, Rome, le 28 juin 2018)?
Mon but, dans ce papier, n’est pas de répondre à ces questions qui sont loin d’être sans intérêt. Je voudrais plutôt partager un étonnement. Je trouve en effet étonnant que les évêques, qui se préoccupent à juste titre de la vie à naître parce qu’elle “comporte l’action créatrice de Dieu et demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur”, se préoccupent peu ou pas du tout des personnes déjà nées. La hiérarchie catholique a-t-elle déjà tonné, comme elle le fit le 6 juillet, parce que la vie de ces personnes est pourrie ou détruite par Alassane Ouattara et sa clique depuis le 11 avril 2011? Les enlèvements et assassinats d’enfants, les arrestations arbitraires et la détention pendant 7 ans sans jugement d’Ivoiriens ayant voté pour Laurent Gbagbo ou travaillé avec lui, les Ivoiriens qui meurent en exil parce que leurs comptes sont bloqués et qu’ils ne peuvent pas se soigner, les pauvres chassés des bidonvilles et obligés de dormir avec les morts pendant que les riches vivent avec leurs familles dans un luxe insolent, les compatriotes réfugiés dans des camps au Ghana et au Togo, tout cela a-t-il jamais suscité la colère et l’indignation de nos évêques? Bref, la vie de ces hommes, femmes et enfants est-elle moins sacrée que celle des enfants pas encore nés? Pourquoi Antoine Koné (Odienné), Salomon Lezoutié (Yopougon), Siméon Ahouanan (Bouaké) et Jean-Pierre Kutwã (Abidjan), prompts à tirer à boulets rouges sur l’ex-président, sont-ils devenus muets comme si tout marchait bien en Côte d’Ivoire?
Messieurs les Évêques, si j’avais un conseil à vous donner, ce serait le suivant: ne vous battez pas seulement pour la vie à naître. Battez-vous aussi pour celle qui est quotidiennement piétinée, malmenée et détruite par Ouattara. Montrez-vous courageux comme Aguib Touré en abordant tous les problèmes de fond et en appelant un chat, un chat!
Jean-Claude DJEREKE