(Rfi) – « Depuis toujours, je caressais ce rêve de faire un hôpital d’hémodialyse pour les malades du rein. J’ai voulu absolument faire ce centre pour soigner les malades d’ici, d’Abidjan et de la sous-région aussi. […] Une fois, j’étais allée à l’hôpital pour visiter et j’ai été saisie par une question qu’un malade posait au médecin, en lui disant :“Celui-là n’est pas encore mort ?”C’est-à-dire pour prendre sa place pour pouvoir se faire soigner. Vous voyez, c’est quand même traumatisant d’entendre ce genre de paroles, c’est dramatique. »
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[media url=”https://www.afriquessor.com/wp-content/uploads/2013/10/INVITE_AFRIQUE_LONG_-_25_10_-_HENRIETTE_KONAN_BEDIE_CIV-41.mp3″ width=”600″ height=”400″ jwplayer=”controlbar=bottom”]Elle est discrète et n’aime pas beaucoup s’exprimer en public. Mais aujourd’hui, Henriette Konan Bédié sort de sa réserve car, ce vendredi 25 octobre au palais des congrès d’Abidjan, avec son ONG Servir, l’épouse de l’ancien président ivoirien Henri Konan Bédié va présider un dîner de gala afin de réunir les six milliards de francs CFA nécessaires à la construction d’un centre d’hémodialyse pour les malades du rein. Quels sont les bons et les mauvais souvenirs de l’ex-Première dame de Côte d’Ivoire ? Comment vit-on au quotidien avec le « sphinx » ?
RFI : Pourquoi ce centre de dialyse, dans la commune d’Atékoubé à Abidjan ?
Henriette Konan Bedié : Parce que depuis toujours je caressais ce rêve de faire un hôpital de dialyse pour les malades du rein. J’ai voulu absolument faire ce centre pour soigner les malades d’ici. De la sous-région aussi.
Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, est-ce qu’il y a encore beaucoup de malades qui meurent du diabète, faute de soins ?
Tout à fait. J’ai été absolument scotchée une fois après une visite à l’hôpital. J’ai été saisie par une question qu’un malade posait au médecin, en lui disant comme ça : « Celui-là, il n’est pas encore mort ? ». Il voulait prendre sa place pour être soigné. Vous voyez, c’est quand même traumatisant d’entendre ce genre de parole, c’est dramatique.
Et pourquoi vous intéressez-vous particulièrement aux malades des reins ?
Parce que j’ai une belle-sœur qui est morte de ça et je l’ai vue souffrir atrocement et ça m’a scandalisé. Je me suis dit, révoltée, « de nos jours il faut faire quelque chose ».
Aux côtés de votre mari, vous avez connu tous les grands de ce monde, De Gaulle, Kennedy, Mandela. A part Houphouët, quel est celui qui vous a le plus impressionnée ?
Kennedy, parce que j’ai été foudroyée par cette mort. Il était jeune, beau, intelligent.
A ce moment, vous étiez la femme de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire à Washington…
Tout à fait, c’était dramatique, j’ai pleuré comme une madeleine. Et Madame Jacky Kennedy était mon idole, avec sa beauté, sa simplicité, sa gentillesse. J’ai été reçue par elle, j’ai pu échanger avec elle. Donc j’étais beaucoup plus proche de ce drame.
Pendant six ans, de 1993 à 1999, vous avez été la Première dame de Côte d’Ivoire. Est-ce que quelquefois ce n’est pas un rôle ingrat ?
Parfois ingrat oui, mais je pense comme une mère : il ne faut pas attendre quoi que ce soit de qui que ce soit, il faut donner ce qu’on peut donner, sans calculs. Evidemment, ça fait toujours un pincement au cœur de voir quelquefois les gens vous tourner le dos. Ils n’ont pas de souvenirs de ce qu’ils vous ont pris. Mais bon ce n’est pas grave, on ne fait pas ça pour être récompensé, c’est la charité qui prime.
Ça fait mal au cœur de voir les gens vous sourire quand vous êtes au pouvoir et vous tourner le dos quand vous n’y êtes plus ?
Oui mais je me dis que je suis là pas parce que je suis Henriette Bedié, c’est la fonction que mon mari occupe qui fait que j’existe. Mais je n’attends rien de personne. C’est ma nature, j’aime aider.
Et quand vous étiez la Première dame, vous prodiguiez des conseils à votre mari ?
Vous savez, nous les femmes nous sommes, je ne dirais pas plus perspicaces que les hommes, mais on sent quelquefois le danger venir. Les hommes, vous savez, ils ont leurs idées. Moi je suis plutôt humanitaire, donc je ne m’occupais vraiment pas trop de la politique.
Les derniers mois de la présidence, est-ce que vous avez senti les tensions monter et le danger venir ?
Oui, mais j’ai été vraiment peinée parce que c’est pas du tout l’idée de mon mari, c’était culturel et les gens n’ont pas compris.
C’était culturel plus que politique ?
Absolument.
Et à l’époque, on se souvient que Henriette Diabaté, la numéro 2 du RDR, était en prison et vous êtes intervenue en sa faveur auprès de votre mari.
Ecoutez, ce sont des questions difficiles à répondre, parce que ce sont des choses entre mari et femme, je ne peux pas dévoiler le secret ! Mais j’adore Henriette Diabaté.
Avez-vous été surprise par le coup d’Etat de décembre 1999 ?
Oui et non. Je sentais quand même une certaine lourdeur dans le pays, mais je me suis dit aussi que les Ivoiriens n’iront pas jusque-là, jusqu’à faire un coup d’Etat. Bon c’est arrivé, c’est arrivé !
A votre retour d’exil, la Première dame de Côte d’Ivoire était Simone Gbagbo, une femme très engagée dans l’action politique alors que vous-mêmes vous êtes très discrète. Est-ce qu’au fond vous n’êtes pas le contraire de Simone Gbagbo ?
Vous savez, chacun son tempérament. Elle, c’est une femme politique, c’est une femme engagée et moi je suis, comme vous venez de dire, une femme tout à fait discrète, une femme au foyer, qui veut le bien de tout le monde, rassembler tout le monde pour que chacun soit heureux. Comme dirait mon mari, « le progrès pour tous et le bonheur pour chacun. »
Et l’actuelle Première dame, Dominique Ouattara, que vous connaissez très bien, est-elle plus proche du modèle Simone Gbagbo ou du vôtre ?
Je crois qu’elle est plutôt un peu comme moi, c’est une femme discrète, je m’entends très bien avec elle, il n’y a aucun souci.
A 79 ans, votre mari vient d’être réélu à la présidence du parti PDCI. Est-ce que ses adversaires n’ont pas eu tendance à le sous-estimer ces derniers mois ?
Vous savez, ils l’ont sous-estimé un petit peu quand même, parce que c’est la force tranquille, c’est quelqu’un qui parle très peu mais qui agit. D’où son nom « le sphinx » !
Est-ce qu’à la maison, il est aussi un sphinx ?
C’est un mari adorable, plein d’humour mais il parle peu.
Dans deux ans c’est la présidentielle, qu’est-ce que vous conseillez à votre mari ? De se présenter ou pas ?
Je ne pense même pas à ça du tout.
Lors de la présidentielle de 2010, il avait dit « c’est mon dernier combat ». Alors, est-ce que c’était vraiment son dernier combat ?
Je pense oui.
Donc vous pensez qu’il ne se représentera pas ?
A priori non. Mais en politique, on ne sait jamais. Mais je ne pense absolument pas.