Mgr Jean Salomon Lezoutié prévient :
“Nous risquons une autre rébellion…”
(L’Inter, 16-17 mars 2013) – L’évêque du diocèse de Yopougon, Mgr Jean Salomon Lezoutié, a interpellé les autorités ivoiriennes sur les risques d’une logique consistant à mettre en avant la justice dans la gestion de la situation post-crise en Côte d’Ivoire. La justice à tout prix peut être préjudiciable, a averti le prélat au cours d’un colloque international sur le thème : «la réconciliation et la reconstruction en Afrique : le cas de la Côte d’Ivoire», qui s’est ouvert, hier vendredi 15 mars, au Centre de formation missionnaire d’Abidjan, sis à Abobo. Invité à participer à un panel, l’homme de Dieu a d’entrée indiqué que les religieux doivent «être neutres pour pouvoir dire la vérité». C’est donc sous le signe de la vérité qu’il placera son intervention. Evoquant la situation socio-politique en Côte d’Ivoire, il l’a comparée à la situation qui prévalait après la deuxième guerre mondiale. Malgré toutes les atrocités que l’Allemagne a fait subir aux autres peuples, a-t-il rappelé, ce pays a été racheté, remis dans le concert des nations ; ce qui lui a valu de bénéficier d’un plan Marshall en vue de sa reconstruction. «Les Ivoiriens doivent tirer leçon de cela», a-t-il conseillé, avant d’expliciter sa pensée. Il a alors mis en garde contre l’obstination à vouloir traduire devant les tribunaux ceux qui sont soupçonnés de faits répréhensibles pendant la crise post-électorale. «On dit qu’il faut la justice d’abord quand on parle de grâce présidentielle ou d’amnistie. Et nous sommes d’accord», a-t-il commencé par dire avant d’ajouter aussitôt : «Mais faisons attention». Et de mettre en garde contre un effet boomerang : «Gare à nous, car la justice que nous faisons risque de déboucher sur l’injustice si on continue de juger les gens d’un seul camp. Est-ce qu’il faut continuer cette justice d’un seul camp jusqu’au bout ?», a-t-il déclaré. Pour le prélat, il faut une décision de l’Exécutif pour effacer les fautes commises par les uns et les autres. «Nous devons trouver une raison supérieure pour aller de l’avant (…) Il faut rapidement revenir à la raison supérieure, c’est-à-dire la grâce présidentielle ». Sans recourir à ce pardon, a-t-il prévenu, le pays court des risques. «Il ne faudrait pas qu’un seul de ceux qui sont détenus meure, ce sera très difficile à gérer. Ça fait deux ans que beaucoup attendent d’être jugés, et ce n’est pas le cas. Il faut donc rapidement cette grâce présidentielle qui, au fond, crée la justice». Et l’homme de Dieu de tirer la sonnette d’alarme : «Si nous ne le faisons pas, je crains (…) Avec ce qui se passe autour de nous, nous risquons de faire face à une autre rébellion». L’évêque de Yopougon a, par ailleurs, fait des révélations sur la vie de Simone Gbagbo à Odiénné. Selon lui, elle entretient de très bons rapports avec l’évêque qui lui a succédé à Odiénné, Mgr Antoine Koné. Simone, a-t-il révélé, a confié au défunt Nonce apostolique, que, si elle est encore en vie, c’est grâce à Mgr Koné. «Quand Mgr Koné écrit sa lettre pastorale, c’est l’ex-Première dame qui est la première à la lire», a encore rapporté l’évêque de Yopougon, voulant ainsi montrer que la Sudiste Simone Gbagbo a pu nouer des relations cordiales avec le Nordiste Antoine Koné. Et faire ainsi mentir ceux qui réduisent trop souvent la crise ivoirienne à un conflit entre le Nord et le Sud. Mgr Anselme Titianma Sanon, archevêque émérite de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, a emboîté le pas à son homologue ivoirien. Il s’est senti interpellé par cette volonté obstinée de lutter contre l’impunité que l’on observe notamment au niveau de la justice internationale. Pour lui, cette justice internationale encourage plutôt l’impunité. «C’est les pauvres, les gens d’une région du globe qu’on juge. C’est toujours les pauvres qu’on juge à La Haye. Alors, quand on me parle d’impunité, je pense que ce sont des propositions bourgeoises ou (une justice) à deux vitesses. Nous avons copié ces affaires alors que l’Occident l’a reçu du droit romain. Or, le droit poussé à l’extrême devient une injustice extrême», a-t-il commenté. Notons qu’à l’ouverture des travaux, le président scientifique, Nathanaël Yaovi Soedé, a situé les enjeux de ce colloque, qui planche sur les solutions de l’église pour une réconciliation réussie en Côte d’Ivoire.
Assane Niada