Claude Beau: Le franc-mac’ charentais promu “Grand Maître”
Par Stéphane URBAJTEL
Charente Libre | Le judoka charentais vient d’être élu “Grand Maître” franc-maçon. Le dan le plus élevé d’une obédience. Il règne sur 15.000 frères. Chez lui, à Saint-Brice, il a accepté de lever un coin du voile.
“On m’a fortement déconseillé de vous recevoir”. Dans sa coquette maison de Saint-Brice où il reçoit avec le sourire, Claude Beau relaie la crainte de ses “frères”. Ouvrir sa porte à un journaliste, lui a-t-on soufflé, c’est l’assurance de découvrir un énième article où la franc-maçonnerie sera comparée à un puissant réseau d’influence. C’est prendre le risque de voir les loges une nouvelle fois assimilées à des organisations obscures, de mystérieux clubs de copains obnubilés par le business.
“Disons que je tente une expérience en acceptant de vous rencontrer”, glisse-t-il dans son salon, entouré de ses deux chiens. Si la règle édictée d’emblée est“discrétion” et “ne me demandez aucun nom”, lui au moins n’entend pas se réfugier sous le voile de l’anonymat. Claude Beau est franc-maçon et il assume. Il aurait, de toute façon, du mal à se cacher: depuis le 10 janvier, il est devenu le très exposé “Grand Maître” de la Glam-f, la Grande Loge de l’alliance maçonnique française (1).
Derrière le titre ronflant et le sigle, une fonction de premier ordre: le Charentais règne sur une obédience réunissant 15.000 frères disséminés dans 680 loges. Des hommes, rien que des hommes. “Je ne m’enorgueillis pas de mon statut. Je ne suis qu’un administrateur, sûrement pas un guide, minimise-t-il. Une qualité essentielle en maçonnerie, c’est l’humilité. Un maçon qui se considérerait supérieur aux autres n’est pas un maçon”.
Le kimono de judo avant le tablier de maçon
Son “sens des valeurs”, le Saint-briçois, ancien conseiller technique pour le ministère des Sports, dit l’avoir appris avant de porter le tablier. En enfilant un kimono de judo. Dans ce domaine aussi, il est aux premières loges: 7e dan dans une discipline qui en compte 12. Il a été membre de l’équipe de France dans les années soixante-dix, champion de ligue et président pendant quatre ans de la Ligue de judo Poitou-Charentes. Dans le Cognaçais, il est aussi connu pour avoir créé “Les enfants d’Alcide Gibaud”, une association des anciens du judo.
Un profil à des années-lumière de son prédécesseur: Alain Juillet qui vient de lui transmettre le sceptre de Grand Maître est un ancien haut fonctionnaire dans le contre-espionnage rallié au monde de l’entreprise.
Claude Beau est devenu “franc-mac’” il y a bientôt un quart de siècle. C’était à Poitiers, raconte-t-il. “Une personnalité locale très connue [il ne veut pas révéler son nom, N.D.L.R.] m’a sollicité. J’ai mis deux ans à me décider. Ma femme m’a convaincue. Elle m’a dit à propos de mon parrain: “Si lui y est, c’est que ce ne sont pas des voyous”“. Avant de “passer sous le bandeau”, sa connaissance de la franc-maçonnerie était proche du néant. Mélange d’appréhension et de fascination.
“Enfant, j’étais scolarisé au collège Saint-Joseph de Cognac [situé à quelques mètres du temple franc-maçon, rue Magdeleine, N.D.L.R.]. Je me rappelle de ces messieurs très vieux qui marchaient dans des rues noires à la tombée de la nuit. Je demandais à mes copains: “Qui sont-ils ?”. On me chuchotait à l’oreille: “Ce sont des francs-maçons””.
Converti – il faut dire “initié” -, le Charentais a gravi les échelons dans sa loge. Apprenti, vénérable. Jusqu’à atteindre donc le sommet de la pyramide. “La franc-maçonnerie m’a aidé à m’épanouir, affirme-t-il en alignant des phrases sibyllines.C’est un outil qui permet à l’homme de progresser (…) Une quête de soi pour celui qui avance en âge”.
“Qu’est-ce que tu es allé foutre dans cette secte ?”
Quand on lui demande d’expliquer pourquoi les maçons rechignent tant à révéler ce qui se trame derrière les murs borgnes des temples, il lâche, mi-énigmatique, mi-pédagogique: “Est-ce qu’un grand chef cuisinier vous révélera sa recette du boeuf bourguignon ?”
Transparent mais soucieux de peser soigneusement ses mots, Claude Beau a une réponse à toutes les questions. Est-il vrai qu’un franc-maçon favorise toujours un autre franc-maçon ? “Faux. Je pense même que c’est moins fréquent que dans d’autres groupes. Est-ce qu’on accuse les Bretons de se serrer les coudes ?”Maçonnerie et politique sont-elles liées de manière intime comme on le prétend ?“Non, c’est un fantasme. La politique comme la religion n’ont pas leur place chez nous. Mon parrain d’ailleurs était de droite quand je suis plutôt de gauche, pas très loin du centre”.
Et toutes ces histoires de maçons adeptes du mélange des genres dont les news magazines font leurs choux gras ? “Oui, il peut y avoir des brebis galeuses, des abus. Mais plutôt moins qu’ailleurs, parce qu’il faut passer le rempart de la sélection pour entrer en maçonnerie. ça limite les risques“.
On lui fait remarquer qu’avant la création de la Glam-f, il a lui-même appartenu à la Grande Loge nationale française (GLNF), cette obédience qualifiée souvent d’affairiste, secouée par une violente crise qui a entraîné son explosion il y a deux ans. “Le pouvoir est monté à la tête de certains”, regrette-t-il. Lui a fait partie des renégats, ceux qui ont dit stop aux dérapages. “Il a fallu du courage pour partir”.
Aux avant-postes aujourd’hui, Claude Beau ambitionne de “rassembler”, d’accompagner le mouvement “vers plus de modernité” et de “privilégier une maçonnerie de l’être sur une maçonnerie du paraître”. Il sait que la tâche ne sera pas aisée, tant les préjugés ont la vie dure. Il l’a mesuré quand l’un de ses proches lui a lancé en découvrant son appartenance en même temps que sa nomination:“Qu’est-ce que tu es allé foutre dans cette secte”.
La Glam-f est aujourd’hui la cinquième obédience maçonnique française derrière le Grand Orient de France (GODF), 50.000 frères; la Grande Loge de France (GLDF), 33.000 frères; la Grande Loge nationale française (GLNF), 25.500 frères; la Fédération française du Droit humain (FFDH), 17.000 frères (dont 67% de soeurs).
——————————————————
Les dates:
1946. Naissance à Saint-Séverin dans le Sud-Charente. Il passe son enfance dans le Cognaçais: ses parents sont commerçants à Cognac.
1962. Repéré comme un espoir du judo, il “monte à Paris” pour rejoindre l’équipe de France.
1984. Il passe son 6e dan de judo et décroche le 7e en 2010.
1991. Il est initié à la franc-maçonnerie à la loge Charles-Martel de Poitiers (Grande Loge nationale française).
1998. nommé “vénérable” de la loge Charles-Martel.
2008. Président de la ligue Poitou-Charentes de judo.
2014. Les frères de la Glam-f le choisissent pour devenir leur Grand Maître.
2015. Le 10 janvier, il est officiellement installé dans ses fonctions de Grand Maître à l’issue de la cérémonie organisée à Tours.