Certains quartiers d’Abidjan, quatre ans après la crise post-électorale, demeurent encore des no man’s land. Où la pègre règne en maître. Frci, policiers et gendarmes n’y ont pas droit. Etat des lieux des ‘’zones rouges’’ de la capitale économique.
Selon les autorités, l’indice de sécurité a ‘’fortement baissé’’ en Côte d’Ivoire, atteignant 1,18 point.Le ministre de la Défense, qui recevait récemment les attachés militaires des représentations diplomatiques accréditées en Côte d’Ivoire, a noté que l’action conjuguée de la police, de la gendarmerie nationale et des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) a contribué à la baisse de l’indice de sécurité dans le pays‘’Aujourd’hui, je puis vous rassurer qu’il y a de moins en moins de braquages, vols, agressions… Et de façon générale, l’indice de sécurité a fortement baissé ces derniers temps pour se situer au niveau de 1,18’’, a fait remarquer Paul Koffi Koffi.Cependant, à travers les 10 communes d’Abidjan, les réalités vécues par les populations ne sont pas rassurantes. «Chez nous, à partir de 19 h, personne n’ose mettre le nez dehors. Car dès que la nuit tombe, c’est l’insécurité totale. Attaques à mains armées, agressions et viols sont nos lots quotidiens», explique O. Véronique, résidant à Anonkoua Kouté dans la commune d’Abobo. Selon elle, la nuit tombée, chacun est livré à lui-même. «Inutile d’appeler les policiers, Frci ou gendarmes. Personne n’y mettra les pieds. La meilleure solution pour chacun est de se barricader chez lui», explique notre interlocutrice. Koné, ancien élément des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), qui attend depuis 2011 son numéro matricule, fait savoir qu’autrefois, c’était le commandant Féré (ex-chef de guerre aujourd’hui tombé en disgrâce) et ses hommes qui assuraient la sécurité à Anonkoua et Pk 18. «Mais depuis son départ, chacun est livré à lui-même. Et ce sont les éléments de chaque chef de guerre qui gèrent les différents endroits. Donc en cas de soucis, il faut s’adresser à ces éléments ou leurs chefs», confie-t-il. En effet, explique-t-il, l’insécurité à Anonkoua Kouté, Pk 18, et au quartier Rails serait le fait des anciens éléments Frci qui détiendraient toujours leurs armes depuis la fin de la crise postélectorale. «On nous a promis des matricules. Mais depuis, on ne voit rien. Beaucoup d’entre nous ont leurs armes avec eux à la maison», poursuit-il. Et de lacher: «Des démobilisés mécontents se payent en attaquant les domiciles». Anderson K. habitant au niveau de l’ancienne gendarmerie sur la route d’Anyama ne dit pas le contraire. «Je dors dehors chez des amis quand je n’entre pas chez moi avant 20 h. Car il y a 95 % de chance que je sois agressé», déplore-t-il. «Si vous vous promenez dans le quartier, vous verrez qu’il y a de belles maisons en location mais personnes n’osent les louer à cause de l’insécurité», ajoute-t-il. Reconnaissant que la zone est toujours contrôlée par des ‘’chefs de guerre et de gangs’’ qui font la pluie et le beau temps.
‘’ILS SONT PLUS ARMÉS QUE NOUS’’
Au niveau de la gare routière d’Abobo, le quartier appelé Marley reste une zone rouge qu’évitent également les forces régulières dans leurs opérations de sécurisation. Ce sont les gangs et dealers qui y font la loi. «Quand nous poursuivons des bandits et qu’ils rentrent à Marley, soit on abandonne soit on fait appel au chef de gang du secteur pour régler le diffèrend», nous a confié un policier qui a requis l’anonymat. Il ajoute un autre lieu qui est beaucoup craint par les forces de l’ordre. Il s’agit du quartier Kenedy. «Il faut retenir que du fait de la guerre, beaucoup d’armes sont détenues par ces jeunes gens qui sont plus armés que nous. Et puis il y a une certaine complicité entre ces gangs et les populations qui ne facilitent pas nos opérations. Donc on regarde faireles choses», explique le flic avec regret. A l’en croire, la zone rouge part de Pk 18 à Yopougon à la lisière de la forêt du Banco. «Il faut de véritables opérations commandos pour désarmer ces bandes. Il faut aussi retenir que même si officiellement on ne parle plus de chef de guerre, sur le terrain, ils continuent de régner. Et cela est un frein aux actions des forces régulières que nous sommes», explique le policier. A Yopougon, certains endroits sont également redoutés par les forces régulières. Ainsi la simple évocation du nom ‘’Guantanamo (appellation d’un ancien maquis fermé à cause de la pègre)’’ suscite des frayeurs. Situé entre les bidonvilles rivaux de ‘’Yaoséhi’’ et ‘’Doukouré’’ qui foisonnent de fumoirs (lieux de vente et de consommation de drogue), maintes fois démantelés par la police et qui repoussent comme des champignons. Ce petit tronçon reliant le commissariat du 16è Arrondissement à l’ancien cinéma ‘’Saguidiba’’ n’a pas bonne presse. Viols, vols, agressions physiques y sont monnaie courante. Passants, automobilistes et riverains en font chaque jour les frais. Mais le ‘’Triangle du mal’’, zone située entre “Yopougon gare- Siporex’’, “Wassakara’’ et ‘’Selmer’’ est en passe de voler la vedette au tristement célèbre ‘’Guantanamo’’. Ou encore certaines rues de Port Bouet 2. En ces lieux, les agresseurs sévissent. Autre endroit pris en otage par la pègre, la lisière d’Abobodoumé.
LES CACHETTES DE LA PÈGRE
«Les malfrats profitent généralement de la proximité de l’Ile Boulay pour s’y replier facilement. Ils dorment sur l’île et opèrent à Yopougon et dans certains quartiers d’Abidjan. Ce qui efface facilement leurs traces», confient A. S., responsable d’une entreprise de sécurité privée. Que ce soit à Marcory sans fil, Anoumabo, Koumassi, Port-Bouet derrière wharf, l’île est, selon divers témoignages, une zone de repli de nombreux gangs et malfrats. Et les baraques et autres habitations précaires ne facilitent pas la tâche aux forces de sécurité. «Une vague d’insécurité qui va avec le trafic de drogue et de stupéfiants dans lequel sont souvent complices ceux qui doivent combattre le phénomène», déplore, M. Tall, responsable d’Ong. Un cercle vicieux où la seule solution qui s’offre à elle est de faire fusionner le DDR, l’insertion des ex-combattants et le toilettage de l’armée. «Si ceux qui ont pris les armes hier ne retournent pas à la vie civile, il sera bien difficile de lutter contre l’insécurité. A ce niveau, la mauvaise foi des démobilisés est aussi à condamner.Ils ne déposent que de petites armes et des caisses de munitions juste pour de l’argent, mais Dieu seul sait l’arsenal qu’ils cachent», relèvent des personnes interrogées. En attendant, il faut saluer le travail remarquable abattu au quotidien par le Centre de coordination des décisions opérationnelles (Ccdo). Qui de jour comme de nuit traque le grand banditisme.
Abou Traoré
Le Sursaut du mardi 20 janvier 2015