Les hommes, partout, sous les cieux, sont acculés jusqu’au dernier retranchement à eux imposé par les conditions difficiles de vie qu’ils sont devenus comme des étrangers sur terre, et dans la société. Un calvaire dont la fin n’est certainement pas pour demain!
C’est à se demander si (tout) le monde est effectivement en pleine émergence, ou en pleine métamorphose. Et en pleine déshumanisation aussi? La paupérisation se généralise tant que ceux qui ont la conduite des affaires publiques ne réalisent pas que leur seule justification est la recherche de solutions pour l’amélioration des conditions de vie de leurs concitoyens. Entre les promesses électorales et la réalité après la cérémonie d’investiture, il y a parfois, comme un gouffre.
La métamorphose sociale à l’épreuve de l’émergence économique
C’est David Bobée, un metteur en scène franco-occidental qui disait récemment des clochards et autres humains de la périphérie qui polluent et pullulent dans les villes de l’espace européen, qu’ils sont comme dans un processus à la fois réel et quasi impossible de métamorphose. Pour lui, ces miséreux «sont trop humains pour vivre avec les animaux; mais aussi pas suffisamment “animaux” pour vivre avec les sauvages. Ils se retrouvent donc à la périphérie des humains, dans un monde en pleine métamorphose». («France24»,9/3) Cet homme de culture entendait théâtraliser ainsi la réalité sociale de son monde à lui: l’Europe. Pouvait-il s’en douter de ce que le tableau descriptif qu’il dressait ainsi correspondrait parfaitement sinon de façon beaucoup plus prononcée à notre belle Afrique, le berceau de l’humanité? Et à la Côte d’Ivoire?
Quand on a fini de faire le tour et la visite des contenus intellectuels de tous les «–ismes » idéologiques et des sciences sociales (sociologie, psychologie, anthropologie…), quand on a analysé à fond par le détour d’un exercice sociocritique les réalités africaines, on se retrouve presque toujours invité à répondre à la question de la garantie du quotidien des hommes et surtout (encore!) des Africains chez qui assurer la pitance journalière relève d’une véritable énigme et d’un défi de titan.
Aussi sommes-nous invités à résoudre cette question, une autre métaphore qui consiste en la problématique de la guérison, par des pansements, des plaies du lépreux sans finir les herbes de la forêt. Bien sûr, précisons que les «plaies du lépreux» sont les oh combien nombreux besoins vitaux du peuple, et les «végétaux » représentent les remèdes à y apporter. Et le médecin? Les politiques et pouvoirs publics, industriels, capitalistes, tous bon teint.
Les remèdes du médecin…
A propos des pouvoirs publics chargés de la gestion de la chose publique, autrement dit le médecin qui est chargé d’aller chercher les herbes en forêt, en Côte d’Ivoire, au pays où on chante le mieux l’émergence, le Directeur des opérations de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire, M. Ousmane Diagana (nous) a soufflé une idée. Piquons chez lui, quelques mots: «(…) Je puis dire que je suis très impressionné par le mouvement en cours, dans tout le sens du terme: renaissance des infrastructures, dynamisme de l’économie, et ayant échangé avec les autorités, j’ai été impressionné par la clarté de leur vision. …une vision avec comme objectif de faire en sorte que le slogan de l’Eléphant d’Afrique par lequel le pays était connu revienne en force. Je pense que le pays recèle de potentialités en ressources humaines et jouit d’une position géographique qui favorise cette ambition.»
Avant d’ajouter: «La Côte d’Ivoire jouit d’une position géographique confortable. Pour qu’elle en profite réellement, elle a besoin d’infrastructures de qualité, en termes de routes, d’autoroutes, de chemins de fer, etc. Le pays a également un potentiel hydraulique suffisamment fort; ce qui est une bonne chose pour la production d’énergie nécessaire à un agenda de croissance durable. Elle pourra aussi exporter cette énergie vers d’autres pays pour contribuer à leur essor économique et social. La Côte d’Ivoire a une population jeune. Elle a besoin d’investir qualitativement pour la formation de cette population, de façon à créer les compétences dont l’économie et la société ont besoin.»
«L’Eléphant» a compris qu’au regard de tout cela, il est clair que pour qu’il y ait une transformation économique porteuse d’émergence, il faudrait qu’on investisse fortement dans l’agriculture et le développement humain. Et la rhétorique de l’économie émergente de ce pays que chantent à tue-tête ceux qui prospèrent à sa tête devrait tenir compte de la situation des populations pauvres. L’idée de croissance ne sera partagée par tous, et ne suscitera plus de rêves que lorsqu’elle sera inclusive et réaliste. C’est-à-dire que les effets doivent être ressentis dans le panier de la ménagère au niveau de chaque foyer. C’est ce qui devrait être à l’ordre du jour. Concrètement, les Ivoiriens voudraient sentir cette croissance à presque deux chiffres dans leurs assiettes et dans leurs poches. «(…) Si les conditions le permettent et si les autorités ivoiriennes ont la volonté d’investir massivement dans ces secteurs, nous sommes prêts à les accompagner en incluant les trois instruments majeurs dont nous disposons. C’est-à-dire le financement, les partenariats et le savoir à travers les études et les enquêtes.» A-t-il ajouté. Pour permettre justement aux Ivoiriens de manger trois fois par jour. On espère que ce n’est pas trop demander à ceux qui gèrent les fonds publics!
Et puis ce témoignage : «Ces instruments permettent au pays d’emprunter des raccourcis car il peut se fonder sur des expériences menées ailleurs. Il y a beaucoup d’économies émergentes dans le monde. Il y en a en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. La banque a beaucoup travaillé avec ces pays. Elle peut mettre l’expérience de ces pays à la disposition de la Côte d’Ivoire à travers des études propres à son contexte.»
Les Ivoiriens qui avaient quelques doutes savent désormais que leur Premier ministre est aussi un (autre) expert en croissance à la hausse, précisément en taux de croissance à deux chiffres dont il rêve depuis deux décennies. Et qu’il ne rate aucune occasion de partager ce rêve avec ses compatriotes. L’expert venu de la Banque mondiale aurait voulu briser ce rêve longtemps caressé et dire aux Ivoiriens que les 9% de taux de croissance réalisés en 2013 ne relèvent d’aucun miracle, qu’il ne s’y serait pas pris autrement: « La Côte d’Ivoire a atteint un taux de croissance de 9%. C’est un chiffre qui fait rêver, compte tenu de la crise que le monde a connue. Mais deux choses expliquent ce chiffre. Quand le taux antérieur est très faible, il est un peu plus facile de faire un bond important au niveau de la croissance. Mais spécialement, c’est parce qu’il y a eu des financements massifs au profit des investissements publics. Ce sont les deux facteurs conjugués qui ont permis de réaliser cette croissance forte.» C’est donc ça, et rien que cela!?
En français facile, cela veut dire qu’il y a deux choses qui expliquent les 9% de taux de croissance en si peu de temps: La première est que c’est parce que nous sortons de la situation économique difficile sans précédent due à la gestion vorace et désastreuse de la refondation de Gbagbo doublée de la rébellion armée de Soro Guillaume et ses soldats de eu, avec leurs corolaires. La seconde est le fait des investissements publics qui sont les grands travaux (le troisième pont, l’autoroute Abidjan-Bassam…) lancés par le gouvernement et qu’on sait tous qu’ils sont financés par l’extérieur sous forme de crédits, et d’emprunts obligataires… Devrait-on comprendre que ce taux est loin d’être un miracle, ou une œuvre de génie ?
Et le vice-président de la Banque mondial à ce propos, a dit au forum investir: “on ne mange pas la croissance”. Le plus important est la transformation de la croissance en termes de biens et de services. C’est pour cela que dans la phase, il faut que nous fassions en sorte qu’elle soit portée par des secteurs réels que sont, entre autres, l’agriculture ou l’agro-business. Les populations des villes et des campagnes pourront alors sentir les fruits de la croissance dans leurs conditions de vie. On se souvient que ces propos avaient beaucoup irrité notre premier ministre qui a répondu aussi que « sans croissance, on ne mange pas ». Et surtout si cette croissance n’est ressentie que dans les poches de ceux qui nous gouvernent. La Côte d‘Ivoire est un pays qui dispose de tous les atouts pour rétablir la compétitivité de l’économie et rester durablement dans une croissance réellement inclusive. Concernant la sécurité juridique, la sécurité judiciaire, la gouvernance et la sécurité tout court, etc., doit-on considérer le verre à moitié plein ou à moitié vide? De feuilles aux vertus thérapeutiques, la forêt nommée Côte d’Ivoire en est pourvue.
Pourtant, si on devrait faire aujourd’hui l’inventaire du patrimoine des Ivoiriens, on y trouverait que les choses suivantes : Pauvreté, chômage, maladies, les populations rurales abandonnées…
ANTOINE EDO
Source: L’Eléphant Déchaîné N°282 du mardi 9 au jeudi 11 septembre 2014