“Nos journaux ne sont pas de bonne qualité”
On parle d’une cascade de limogeage, qui suscite des inquiétudes à Fraternité Matin. Qu’en est-il?
Avant de vous répondre, je voudrais vous faire quelques observations sur la presse ivoirienne. Vous avez été témoin de ce que cette année le jury du prix Ebony n’a pas décerné le prix du Super Ebony, parce qu’il a estimé que le niveau de la presse était trop bas. Vous savez aussi que les ventes de nos journaux baissent régulièrement. Pour moi les deux éléments sont liés. Les ventes baissent parce que nos journaux ne sont pas de bonne qualité. Les lecteurs ne sont pas dupes. Ils veulent de la qualité. Et c’est dans ce contexte que le 2 avril, tous les journaux vont connaître une augmentation de prix. Pour moi, les consommateurs ne vont pas se précipiter sur nos journaux parce que nous avons augmenté nos prix. Cela veut dire que le journal qui ne s’adapte pas se condamne à mort. C’est fort de ces réflexions que j’ai procédé à des mutations dans l’entreprise. Je n’ai pas limogé quelqu’un. J’ai changé les chefs de service de poste. Pour créer une nouvelle dynamique et éviter la sclérose. Dans tous les journaux, les journalistes changent régulièrement de service. Moi personnellement j’ai fait tous les services à Ivoir’Soir et Fraternité matin. Un journaliste qui aspire à être un bon journaliste doit faire plusieurs services. Et dans l’ensemble, tous les chefs de service ont accepté ces changements. Sauf peut-être ceux qui perdent leurs gombos. Mais un de mes combats est la lutte contre le journalisme de gombo, le racket, qui affecte aussi ma rédaction à certain niveau. Ceux qui font le plus de bruit et se répandent dans les journaux sont ceux qui veulent continuer avec cette forme de journalisme dont les lecteurs ne veulent plus.
Comment expliquer qu’un responsable du rang de Directeur général adjoint se retrouve du jour au lendemain à un simple chef de service?
Ecoutez, je suppose que vous parlez de M. Doualy. Je lui ai confié la tâche d’organiser la formation des journalistes qui est pour moi vitale pour nous. J’ai noué un partenariat avec le journal Le Monde et avec l’école supérieure de journalisme de Lille. Ils sont prêts à nous aider. Il s’agit pour nous de nous organiser, pour faire partir nos journalistes en formation chez eux, ou de faire venir les formateurs ici. Je veux que cette formation soit continue. C’est cette mission que j’ai confiée à Abel Doualy. Sans toucher à son salaire et à ses avantages. Mais il a fait remarquer qu’il subissait une rétrogradation. J’ai demandé au DRH de régler cela et ça a été fait.
Est-il vrai que le président de la République vous a instruit de présenter un plan de licenciement à l’image de ceux qui s’est passé à la RTI?
J’ai dit aux travailleurs que si nous ne redoublons pas d’effort, si nos ventes et nos revenus qui viennent de la publicité ne s’améliorent pas, bref, si nous n’améliorons pas nos revenus, nous serons obligés de passer par un plan social sans que personne ne nous le dicte.
Si c’était le cas, comment justifier les nouveaux recrutements effectués ?
J’ai recruté un DRH, parce que depuis le départ d’Alhoussene Sylla nous sommes restés un an sans en avoir. Pareil pour l’assistante sociale et le chef de la régie. Tous ces postes étaient vacants depuis plus d’un an. J’ai aussi recruté une jeune dame qui a une excellente plume, et qui assure le secrétariat de rédaction. Il n’y en avait pas depuis des années. Le secrétariat de rédaction est une partie très importante dans un journal qui se veut de qualité.
Vous auriez limogé des responsables de service pour avoir dénoncé des dysfonctionnements. Seriez-vous réfractaire aux critiques dans votre gestion?
Soyons sérieux. Et si on raisonnait différemment ? Et si c’était le contraire ? Qui a dénoncé quel dysfonctionnement ? Je n’ai renvoyé personne. J’ai fait des permutations parce que moi-même j’ai besoin de voir clair dans l’entreprise. J’ai l’impression que c’est cela qui dérange et explique la violence des attaques dont je suis l’objet. Mais ce n’est pas cela qui va m’empêcher de voir clair dans les finances et la gestion de l’entreprise. Comme tout le monde est présent dans l’entreprise, que ceux qui ont vu des dysfonctionnements viennent le dire au lieu de se répandre sur internet et dans les journaux. Mais ne soyons pas dupes. Quand vous empêchez des gens de manger, ils ruent dans les brancards, puisque la seule morale dans ce pays est l’enrichissement à toute vitesse. Je vais lancer des audits et on verra tous clair.
Quelles sont vos relations avec Valentin Mbougueng, que représente-t-il auprès de vous et sur quelle base a-t-il été recruté?
Valentin est le bouc émissaire de tous ceux qui ne veulent pas voir les choses bouger dans le bon sens, ceux qui veulent faire du journalisme de gombo. C’est un excellent journaliste qui a travaillé au Réveil Hebdo, puis à Jeune Afrique, à Afrique Asie dont il était le rédacteur en chef, et à l’Agence Tunisienne de la Communication Extérieure. Après les changements en Tunisie, il est revenu au pays et je l’ai recruté. Je suis très satisfait de son travail et tous ceux qui savent apprécier le bon journalisme me félicitent de l’avoir avec moi. Je peux dire que c’est grâce à lui que j’améliore régulièrement le contenu du journal, et que nous sommes devenus leaders, alors qu’à mon arrivée nous étions en bas du classement.
Etes-vous en phase avec le Conseil d’Administration, notamment sa présidente, Mme Viviane Zunon Kipré ?
Le Conseil d’administration a ses prérogatives et le DG a les siennes. Nous travaillons dans l’harmonie, avec parfois quelques incompréhensions, comme cela existe dans toute équipe. Mais nous les réglons en toute intelligence.
Le ministère de la Communication est-il au courant de la restructuration que vous opérez? Quel est son avis là-dessus?
Oui, le ministère a été informé. Cela dit, j’ai du mal à comprendre tout le bruit que certains font. J’ai juste permuté des personnes pour donner une nouvelle dynamique à l’entreprise. Je crois que dans votre entreprise aussi vous faites cela. Je connais les journalistes de chez vous qui ont plusieurs fois changé de poste sans que cela ne fasse du bruit. Je n’ai renvoyé personne. Mais je suis maintenant convaincu que certains avaient des intérêts qui n’étaient pas ceux de l’entreprise, et pour être franc, je le subodorais un peu. Mais je ne vais pas me laisser distraire par toutes les calomnies que l’on répand sur internet. Moi j’ai un challenge à relever, et j’y travaille avec ceux qui veulent bien travailler. Et ce sont les plus nombreux dans l’entreprise. Et c’est la seule chose qui compte pour moi. Vous savez, il y a beaucoup de gens, aussi bien à Fraternité matin qu’à l’extérieur qui pensent qu’ils méritent mieux que moi d’être à ce poste ; Certains me l’ont dit ; et vous êtes témoins que régulièrement je fais l’objet d’attaques dans certains journaux. Généralement c’est chaque fois que j’opère des changements dans mes équipes. Mais une entreprise qui ne bouge pas se condamne à mort. Et je ne vais pas me laisser distraire par ça.
Quelle Fraternité Matin rêvez-vous aujourd’hui?
Un journal de qualité qui fait du vrai journalisme, et non plus un journal de gombos.
Votre avis sur l’augmentation du prix des journaux, qui passe de 200 F CFA à 300 F CFA le 02 avril prochain?
C’est un défi qui est lancé à toute la corporation, et le responsable de journal qui n’anticipera pas les choses, n’améliore pas le contenu de son journal se condamne à disparaître. Et c’est ce que certains de mes collaborateurs ne veulent pas comprendre. On ne peut pas continuer avec les vieilles méthodes et croire que le public va se précipiter sur nos journaux.
Interview réalisée par Félix D. Boni
Journal L’Inter